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Thomas Sankara et la condition féminine: un discours révolutionnaire?

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par Poussi SAWADOGO
Université de Ouagadougou - Maà®trise sciences et techniques de l'information et de la communication 1999
  

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CONCLUSION

Inciter à l'action constitue le but ultime de Sankara. Ce leader révolutionnaire déclare une guerre de mots contre ses adversaires. Son discours est à la mesure de ce que G. Klaus déclare : « La langue de la politique est un élément de la lutte des classes(...) les mots sont des armes, des poisons ou des tranquillisants »189(*). Cela est d'autant plus vrai que Sankara aborde un problème ancré dans la mentalité collective. « L'outil du langage se veut une arme de choc pour le nouveau régime »190(*). Sankara institue une langue révolutionnaire dont l'enjeu majeur est de renverser l'ordre ancien, et d'en créer un autre. Dans ce sens, il affirme : « Il s'agit donc de restituer à l'homme sa vraie image en faisant triompher le règne de la liberté par-delà les différenciations naturelles, grâce à la liquidation de tous les systèmes d'hypocrisie qui consolident l'exploitation cynique de la femme »191(*). Cette profession de foi explicite l'engagement des révolutionnaires qui est de vaincre les multiples ennemis. De l'émancipation féminine Sankara donne ici la voie à suivre : il se présente comme un guide qui donne des leçons et qui détient la vérité. Sa force réside dans sa volonté d'expliciter son projet politique et de transmettre un message pédagogique. La lutte politique devient, avant tout, une lutte pour imposer une vérité idéologique.

La politique sankariste s'appuie sur le marxisme-léninisme. Elle s'engage dans le sens de la rupture et s'impose une révolution du verbe. Elle défint la mission de la femme nouvelle. « Aussi, celle-ci doit-elle s'engager dans l'application des mots d'ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabé, en s'affirmant toujours comme un agent économique de premier plan, producteur comme consommateur des produits locaux »192(*) ceci suppose une volonté révolutionnaire de précipiter la destruction des systèmes qui asservissent la femme et de construire un nouvel ordre économique dans lequel elle bénéficierait d'un plein épanouissement. En appelant les femmes à se mettre au premier rang pour produire et consommer burkinabé, Sankara les invite à faire preuve de patriotisme. Ce dernier trait de la morale révolutionnaire s'accompagne d'une volonté d'acquérir des vertus ascétiques193(*). Compter sur ses propres forces amène le Président du CNR à encourager les femmes à se servir de leur propre arme que constitue l'UFB. « Il vous appartient de l'affûter davantage pour que ses coups soient plus tranchantes et vous permettent de remporter toujours et toujours des victoires »194(*). Cet appel vise à donner confiance aux femmes pour qu'elles persévèrent dans leur quête permanente de l'émancipation.

La démarche sankariste consiste à éduquer les femmes, à leur fournir les armes d'un combat ultérieur. Car, pour agir, il est indispensable que celles ci prennent conscience de leur situation critique et de la nécessité de provoquer un changement qualificatif. « On ne combat bien que ce que l'on connaît bien et un combat ne se réussit que si l'on est convaincu de sa justesse »195(*) note Sankara. Il tente de rassurer les femmes sur la bonne volonté de la RDP. « Il s'agit d'exiger au nom de la révolution qui est venue pour donner et non pour prendre, que justice soit faite aux femmes »196(*). La révolution symbolise une force qui délivre. Elle se présente comme une providence, un salut pour toutes les femmes. Elle incarne la bonté et la générosité, elle n'est donc pas ségrégationniste. La RDP ne distingue pas l'homme de la femme, elle ne fait pas de « discrimination sexiste ». Le camp du Bien est celui de la Révolution démocratique et populaire, antithèse de la Réaction, camp du Mal, par excellence. Cette vision manichéenne un peu simpliste délimite les rapports de force que Sankara établit entre le camp révolutionnaire et les ennemis de la Révolution197(*). . La révolution et les femmes sont des partenaires dans la recherche constante de la liberté et Sankara l'exprime clairement en ces termes : « Femmes, mes camarades de luttes, c'est à vous que je parle »198(*).

Thomas Sankara s'adresse particulièrement aux femmes de façon directe lors des meetings et par l'intermédiaire des médias. Rassembler son auditoire, lui donner une conscience de foule et l'éduquer par le biais d'images et de symboles constitue la démarche propre au président du CNR. Cette technique d'approche produit des effets indéniables qui font partie de l'héritage laissée par Sankara après sa mort.

En effet, Sankara joue sur la psychologie des masses. Son attitude est conforme à cette assertion de Gustave Le Bon : « par le fait seul que les individus sont transformés en foule ils possèdent une sorte d'âme collective qui les fait sentir penser et agir d'une façon tout à fait différente de celle dont sentirait penserait, agir chacun d'eux isolement »199(*). Sankara, comme tout « révolutionnaire », prend soin de rassembler les  « masses » en « foule », de les impressionner par des harangues vigoureuses. Face à un auditoire acquis, Sankara passe du mot d'ordre à l'activité pédagogique. « Ce qui exige bien souvent que nous fassions violence sur nous-mêmes : Expliquer et encore expliquer. Lénine disait une chose que nous oublions souvent : « à l'origine de toute révolution, il y a la pédagogie » ne l'oublions jamais. Et l'art d'enseigner, c'est la répétition. Il faut répéter, et encore répéter »200(*). Eduquer et sensibiliser deviennent les armes de Sankara. Dans ce projet de formation, le discours joue un rôle fondamental. Les habilités rhétoriques, les techniques argumentatives les plus diverses sont au service du discours sankariste : convaincre, émouvoir pour participer à une oeuvre de reconstruction. L'image, dans la démonstration dialectique de Sankara, est une figure de discours importante. Elle est une clé de la vision particulière que se fait le leader des forces politiques en présence. Le triptyque de la représentation de la femme, femme coupable, femme victime, femme positive, illustre bien les facettes du discours politique de Sankara. L'image devient métaphore puis allégorie, lorsque que le président du CNR cherche à frapper les esprits. Le monde révolutionnaire se peuple de déités bienfaisantes, telles que la révolution ou la nuit du 4 Août, et de forces obscures ou de monstres, comme l'impérialisme et la Réaction religieuse. Ainsi que l'explique Charles Perelman, le symbolisme est saisissable par un large auditoire et entraîne une forte adhésion : « Le symbole est indispensable pour susciter une ferveur religieuse ou patriotique, car l'émotion peut difficilement s'attacher à une idée purement abstraite »201(*). . Dans le même sens, Walter Lippmann dit du symbole qu'il est fait « pour créer le sentiment de la solidarité et en même temps pour exploiter l'excitation des masses »202(*). Le symbolisme se présente comme la langue de l'inconscient. Il cherche à persuader l'auditoire, à le conduire par les promesses et à l'effrayer par les menaces, à l'amener à rejeter ce qui est condamné et à adopter ce qui est recommandé. Dans le cas du discours sankariste sur la condition féminine, la prostitution, l'exclusion politique, sociale et culturelle des femmes sont condamnées sévèrement. En revanche l'éducation politique, idéologique des femmes, leur accès à l'emploi et aux instances de prises de décisions sont recommandées. Le but final poursuivi est la libération et l'émancipation totale de la femme. Cette détermination conduit Sankara à menacer ceux qui s'opposent au cours de la Révolution : « Camarades, malheur à ceux qui méprisent les femmes ! »203(*). Cette formule est l'écho de la phrase célèbre prononcée par Sankara. à l'occasion de sa démission du poste de secrétaire d'Etat à l'Information le 12 avril 1982 : « Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple »204(*). Protestant contre les atteintes aux libertés, il devient du même coup le leader exemplaire qui lutte, contre l'injustice, l'arbitraire et l'exploitation sous toutes les formes. Sankara crée dans ses meetings, une communion totale avec le peuple205(*). Il adapte son comportement à un « discours de vérité qui s'énonce sur le mode du devoir - être, au mieux du devoir vivre puis qu `il désigne le bien - vivre, la ligne juste »206(*).

Le problème de la condition féminine tel qu'il est posé dans les discours de Sankara relève des mentalités profondes d'une société. Toute évolution dans ce domaine spécifique ne peut être obtenue que par un processus psycho-sociologique fort long.. Cependant Sankara a eu le mérite de s'attaquer à ce qui, aux yeux de la société est considérée comme normal et essentiel au maintien et à la cohésion de la communauté : à savoir les systèmes d'exploitation économique, d'oppression sociale, d'ostracisme culturel de la femme. Et trois ans et demi, un changement sensible se manifeste dans la vie des femmes. Celles-ci peuvent accéder à certains postes politiques et administratifs. Les femmes comprennent le message sankariste et certaines d'entre elles se mettent au devant de la scène pour briser symboliquement leurs chaînes. Sankara permet l'éveil politique des femmes, comme en témoigne Marlène Zebango, femme politique, ancien ministre de la justice : « La lutte des femmes burkinabé pour leurs droits remonte à Thomas Sankara (...) il nous a donné confiance en nous, car il nous encensait et a été le premier à nous confier des postes de responsabilités. »207(*).

Ces propos sont confirmés par des historiens qui constatent que l'effort sankariste a permis de placer la femme au premier plan. La question de sa condition « ne faisait plus l'objet d'un tabou »208(*). C. Benabdessadok conclut : « (...) le destin des femmes a quitté le sentier du tabou, de l'exploitation et du « beni-oui - ouisme » »209(*). Selon lui, Sankara a permis l'amorce d'un débat qui a modifié en profondeur les données du problème posé. L'UFB tout comme les tribunaux populaires de conciliation se présente comme une structure par laquelle les femmes expriment leurs préoccupations et se défendent210(*).

Le projet de libération de la femme est inséparable du projet global et total formulé par Sankara pour renverser l'ordre social établi. Par ses paroles et ses actes, Sankara bouscule les mentalités et maintient un contrôle social serré. La lenteur de l'adhésion à la politique sankariste sur la condition féminine est liée au fait qu'une la révolution des mentalités se heurte à l'inertie qui leur est propre.

Il a toujours été difficile de substituer un système de perception à un autre. Et Bruno Jaffré de conclure : « L'évolution des mentalités reste un travail de longue haleine, encore faut-il commencer sans un certain courage »211(*). Héritier d'un pays où la domination politique, l'exploitation économique et l'exclusion sociale de la femme étaient la norme, Sankara a opté pour la rupture. Marxiste-léniniste, le président du CNR assimile les femmes à des prolétaires et se détermine à les organiser, à les éduquer et à les défendre. Il veut les responsabiliser pour la conduite de leur propre destin, et l'aboutissement de leur libération. Conscient de la force énorme que représentent les femmes, Sankara prophétise : « Camarades, il n'y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais mes pas ne me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J'entends le vacarme de ce silence dans des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J'entends et espère l'irruption féconde de la révolution, elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d'opprimées »212(*). Paroles et actes de Sankara révèlent donc une pensée révolutionnaire authentiquement féministe. Rarement dans l'histoire des révolutions, la pratique est allée de pair avec la théorie en ce qui concerne la libération des femmes. Olympe de Gouges, pour ne citer qu'elle, n'a t-elle pas payé de sa vie son opposition à Robespierre et à une révolution qui était une affaire d'homme ? La prise de position courageuse et sincère de Sankara est sans précédent dans l'histoire du Burkina et dans celle des idées politiques.

* 189 PËCHEUX (M), op. cit., p. 259.

* 190 BANEGAS (R) op. cit., p 17.

* 191 GAKUNZI (D) , op. cit. p 222.

* 192 GAKUNZI (D), op. cit., p.p 235-236.

* 193 BANEGAS (R), op. cit. p. 102.

* 194 GAKUNZI (D), op. cit. p. 235.

* 195 GAKUNZI (D) , op., cit. p. 123.

* 196 GAKUNZI (D), op. cit., p. 239.

* 197 Voir Annexes III

* 198 GAKUNZI (D), op. cit. p. 242.

* 199 Citation tiré du cours « Médias et Publics » dispensé par BALIMA Serge Théophile (Licence/ MAST1, Arts et Communication, 19/01/98).

* 200 GAKUNZI (D) op. cit. p. 273.

* 201 PERELMAN, op., cit. , p 114.

* 202 Citation tirée du cours  « Médias et publics de BALIMA Serge Théophile (Licence/ MAST1 et Communication, 19/01/98).

* 203 GAKUNZI (D) op. cit. p. 245.

* 204 ENGLEBERT (P) op. cit. pp 112 - 113.

* 205 ENGLEBERT (P), op. cit. pp. 112 - 113.

* 206 BANEGAS (R) op. cit. p. 109.

* 207 BADINI - FOLANE (D), « Femmes en politique au Burkina Faso de 1983 à 1977 », in Athanor n° 9, Ravenna, Longo Eidtore, décembre 1998, p. 81.

* 208 JAFFRE (B), Burkina Faso, les années Sankara : de la révolution à la rectification, Paris , l'Harmattan 1989, p 111.

* 209 BENABDESSADOK(c), op., cit. p. 64.

* 210 JAFFRE (B) , op.; cit. p. 111.

* 211 JAFFRE (B) , op.; cit. p. 111.

* 212 GAKUNZI, (D) op. cit. p 245.

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