Problématique
Le bouleversement qu'a connu le monde occidental depuis la
Révolution industrielle, a sans doute conféré à
l'école une place de choix dans la lutte contre
l'inégalité des chances pour la vie. L'école
représente l'une des institutions sociales de base, responsable du
mécanisme de production et de reproduction sociales. L'école
représente l'institution sociale par excellence de vulgarisation de
connaissances et de savoirs. Elle est le noyau de production de ressources
intellectuelles qui ont pour tâche de créer les différents
outils qui vont favoriser le développement et l'évolution
culturelle et technologique de la société.
Le rôle central que la société
d'aujourd'hui confère à l'école, fait d'elle
l'élément central de mobilité et-ou d'insertion sociale.
En effet, l'individu contemporain pour pouvoir s'intégrer pleinement
dans la sphère sociale doit passer par l'école, et encore faut-il
réussir. Comme le souligne Boudon (1973), la société
moderne est basée sur un système méritocratique. Ce
constat sous-entend théoriquement, que l'accès à la
position sociale est largement déterminé par le niveau scolaire.
De ce point de vue, plus on a un niveau d'instruction élevé, plus
la société nous offre la possibilité d'avoir un statut
social élevé.
Cette conception de l'école si elle est
générale, prend un sens tout à fait particulier dans des
pays en voie de développement comme Haïti, plus
spécifiquement dans les classes sociales les moins favorisées
culturellement et économiquement. « Envoyer un enfant à
l'école » dans ces milieux est perçu par les parents
comme un investissement qui assurera à la fois leur ascension sociale et
celle de l'enfant lui-même. La maîtrise de l'écriture et de
la lecture représente un moyen de mobilité
socio-économique et pour les parents et pour l'enfant. Laguerre (1982 pg
90) soutient que :
« La stratégie de mobilité
socio-économique à travers l'école est vue par la plupart
des habitants (des quartiers urbains) comme la meilleure voie ouverte pour
leurs enfants et ils font tout ce qu'ils peuvent pour faciliter l'accès
à l'éducation »
La formation formelle représente et pour l'individu
haïtien et pour son entourage familial un enjeu majeur. Cependant, en
dépit du fait que les parents traduisent une forte volonté
d'instruire leurs enfants, les recherches réalisées dans le
milieu haïtien révèle que le pourcentage d'échec
augmente d'un cycle fondamental à un autre. Nous pouvons prendre pour
illustration, une étude réalisée récemment par le
Ministère de l'Économie et des Finances (MEF) et l'Institut
Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) en 2005 sur les conditions
de vie en Haïti. Cette étude révèle que le
pourcentage de réussite passe de 84% en 1ère
Année fondamentale, à 50% à l'école primaire
et atteint le quart au niveau des trois cycles de l'école fondamentale
(9ème année fondamentale).
Plusieurs recherches réalisées dans le milieu
haïtien ont abordé la problématique de l'échec
scolaire dans le système éducatif haïtien. Des chercheurs
(Jean Jacques 1995 ; Latortue 1998) ont posé le problème en
rapport avec le bilinguisme. D'autres recherches (FONHEP, 1999) ont
abordé la question en rapport avec le climat interne de l'école,
les pratiques scolaires, les attitudes des enseignants, etc. En dépit de
la pertinence de ces recherches des questions demeurent ; notamment, la
question de l'implication du milieu familial dans la formation des enfants.
Quelle influence exerce le milieu familial sur la réussite (ou
l'échec) scolaire de l'enfant haïtien ? Si la réussite
scolaire de l'enfant haïtien est déterminante pour l'avenir
socio-économique de ses parents, l'enjeu est de savoir comment les
parents participent-ils à la construction de cette
réussite ? Telles ont été nos premières
interrogations.
Pour aborder ce problème, nous avons retenu le point de
vue des sociologues de l'éducation sur la question. Dans cette
perspective, ce problème a été abordé en rapport
avec l'origine sociale des parents. Des auteurs d'horizons divers ont soutenu
que l'origine sociale demeure l'élément essentiel à la
réussite scolaire de l'enfant. En Amérique du Nord, Coleman
(1966); de Jencks et al. (1972) soutiennent que la réussite scolaire des
élèves est tributaire de l'origine sociale de ces derniers. En
France, Bourdieu (1985) révèle le fait similaire. Il conclut que
l'école, en reproduisant la culture de la classe dominante, place
l'enfant issu de la classe dominée dans un contexte scolaire où
il a plus de chance d'échouer que de réussir.
D'autres auteurs, tels Scott Jones (1995) et Bronkhart (1998)
rapportent que le niveau d'étude des parents est étroitement
lié à la réussite des élèves. Carron et
Châu (1998) ont rapporté le même fait dans une étude
réalisée dans quatre pays en voie de développement
(Mexique (Puebla); Chine (Zhejiang); Inde (Madhyapradesh) et en
Guinée).
En dépit de la pertinence de cette thèse, elle
semble laisser pas mal de questions sans réponses. Selon cette
thèse, les enfants qui devraient normalement réussir à
l'école sont ceux qui proviennent d'un milieu favorisé
culturellement et économiquement. Des auteurs comme Diallo (2001) ;
Deslandes et Cloutier (2005) ont souligné les limites de cette
conception. Selon ces auteurs, cette thèse ne peut expliquer la
réussite scolaire des enfants issus des milieux
défavorisés, de même que, l'échec des enfants issus
des milieux favorisés.
Ces auteurs ont donc mentionné de leur coté,
l'importance des facteurs internes propres au milieu familial. Selon ces
auteurs, la façon dont les parents exercent leur métier de parent
influe sur la réussite scolaire. Ces pratiques selon qu'elles sont
autoritaires, démocratiques ou permissives orientent la performance
scolaire des enfants. Mais que dire des interactions entre parents et
adolescents axées sur l'école ? Ou plus explicitement,
quelle incidence a l'encadrement des activités académiques des
enfants par les parents sur la réussite scolaire de ces derniers
(enfants) ?
Pour explorer d'autres pistes d'explication, nous avons
retenu la conception écologique, développée par des
auteurs comme : Epstein et al. (1993) ; Potvin et al. (1996); Deslandes et
Cloutier, (2005). Ces auteurs ont souligné le rôle de la
participation parentale dans le suivi scolaire des enfants comme étant
un élément fondamental dans la réussite scolaire de ces
derniers.
Lahire (1998) de son coté mentionne que dans des
contextes sociaux bien spécifiques, certaines dimensions de la
participation parentale semblent plus importantes que d'autres. Dans le cas des
milieux populaires par exemple, ce dernier dans un article
intitulé : « La réussite scolaire en milieux
populaires où les conditions sociales d'une schizophrénie
heureuse » présente une analyse qui vise à montrer
le rôle de la participation parentale à travers la communication
entre parent et enfant dans la réussite scolaire de l'enfant.
À partir d'une relation entre l'école et la
famille, Lahire explique que l'échec scolaire en milieux populaires est
lié à une double solitude que vit l'élève. La
première est due au fait que l'élève transporte à
l'école un capital culturel familial qui n'a pas de valeur. La seconde,
est due au fait que l'élève en revenant de l'école
transporte un savoir qui n'a pas de valeur dans l'univers familial (puisque
généralement les parents sont analphabètes). Dans les deux
cas, l'enfant se retrouve seul.
Lahire soutient que les enfants qui réussissent sont
ceux dont les parents ont brisé cette seconde solitude, en créant
un espace d'écoute, de réalisation de soi au sein de la
configuration familiale. Il mentionne que cet espace peut se créer sur
une base affective (écoute attentive des parents, communication
axée sur l'école) et utilitaire (écrire et lire des
lettres pour les parents).
Ryan et Adams (1995) et Deslandes (1996 ; 2001 ;
2003) dans une perspective interactionniste voient la question sur un angle
plus large. Ces derniers mettent l'emphase sur les différents
éléments d'interaction entre parents et adolescents axés
sur l'école. À part la communication que Lahire a
souligné, ces derniers soulignent : le support et l'aide dans les
devoirs, la communication axée sur les difficultés
rencontrées à l'école et sur les aspirations scolaires des
enfants. Les auteurs soulignent que les interactions entre parents et
adolescents axées sur l'école représentent les dimensions
verbales et non verbales de la participation parentale qui influent sur la
performance scolaire de l'enfant. De cette conception théorique, nous
avons clarifié notre question de recherche comme suit :
comment les interactions parents-adolescents axés sur
l'école peuvent elles influencer la réussite scolaire des jeunes
vivants en milieu défavorisé ? Comment
l'engagement, le contrôle, l'encadrement et la supervision des
activités scolaires par les parents peuvent-ils influencer la
réussite scolaire du jeune ?
En relation à ce questionnement, nous inférons
l'hypothèse suivante :
Hypothèse générale :
Plus le niveau d'interactions constructives entre
parents/adolescents axé sur l'école est élevé plus
la réussite scolaire de l'apprenant sera élevée
Chapitre IV : CADRE
MÉTHODOLOGIQUE
Dans ce chapitre nous allons présenter les grandes
lignes qui guideront notre travail de recherche. Il présentera les
démarches méthodologiques qui nous permettront de vérifier
dans la réalité notre hypothèse de
recherche.
4.1- Objectif de la recherche.
Nous rappelons que cette recherche vise à saisir le
lien qui existe entre les interactions parents-adolescents axées sur
l'école et la réussite scolaire de ces jeunes. Elle consistera
plus spécifiquement à évaluer le rapport qui existe entre
les interactions constructives axées sur l'école et la
réussite scolaire de l'adolescent vivant en milieu
défavorisé.
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