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Thomas Sankara et la condition féminine: un discours révolutionnaire?

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par Poussi SAWADOGO
Université de Ouagadougou - Maà®trise sciences et techniques de l'information et de la communication 1999
  

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CHAPITRE I.

LES MODALITÉS DE L'ARGUMENTATION

Le discours féministe de Sankara vise à convaincre, à persuader son public, à modifier son opinion. Comme le pose Charles. Perelman, dans son ouvrage. L'Empire rhétorique, rhétorique et argumentation 95(*), il existe une différence fondamentale entre une démonstration et une argumentation. « Dans une démonstration mathématique, les axiomes ne sont pas en discussion ; qu'on les considère comme évidents, comme vrais ou comme de simples hypothèses on ne se préoccupe guère de savoir s'ils sont ou non acceptés par l'auditoire ». La démonstration est considérée comme formellement correcte, lorsqu'elle est conforme à des règles explicitées. La déduction qui permet de passer des prémisses aux conséquences joue un rôle déterminant dans la démonstration. En revanche l'argumentation, selon Charles. Perelman, cherche à « provoquer ou accroître l'adhésion d'un auditoire aux thèses qu'on présente à son assentiment. »

Le discours sankariste prétend, par l'argumentation qui le fonde, à la fois « gagner l'adhésion des esprits » et « inciter à l'action ».C'est dire que Sankara reconnaît les vertus du discours argumentatif. Saint Augustin, au chapitre 13 du livre 4 de son ouvrage De la Doctrine chrétienne, analyse les ressorts profonds de ce type de discours :

« L'auditoire ne sera vraiment persuadé que s'il est conduit par vos promesses et effrayé par vos menaces, s'il rejette ce que vous condamnez et embrasse ce que vous recommandez ; s'il se lamente devant ce que vous présentez comme lamentable ; s'il s'apitoie devant ceux que vous présentez comme dignes de pitié et s'écarte de ceux que vous lui présentez comme des hommes à craindre et à éviter »96(*).

Le but d'une argumentation n'est pas de prouver la vérité d'une conclusion à partir de prémisses, mais comme l'analyse finement Perelman « de transférer sur les conclusions l'adhésion accordée aux prémisses ». Une argumentation se fonde sur des techniques argumentatives diverses qui peuvent se situer soit au niveau du raisonnement soit à celui des arguments proposés.

1.1 LES HABILETÉS RHÉTORIQUES

Théoriquement, le raisonnement prend la forme suivante : thèse antérieure---> prémisses---> arguments---> conclusion---> nouvelle thèse. Thomas Sankara ne s'adapte pas à ce schéma. Il supprime certaines étapes ou les sous-entend ou même les inverse. Il utilise le plus souvent le syllogisme. Le syllogisme se présente comme de degré zéro de la structure argumentative. Il ne retient que les prémisses et la conclusion.

Voici quelques syllogismes dans le discours Sankariste. « Notre révolution intéresse tous les opprimés, tous ceux qui sont exploités dans la société actuelle (prémisse majeure : affirmation d'ordre général). Elle intéresse par conséquent la femme (conclusion), car le fondement de sa domination par l'homme se trouve dans le système d'organisation de la vie politique et économique de la société (prémisse mineure) »97(*) Sankara construit son raisonnement par des syllogismes tronqués : « Les femmes et les hommes de notre société sont tous victimes de l'oppression et de la domination impérialiste (majeure) (mineure : Or seul le combat unitaire libère = sous-entendu). C'est pourquoi ils mènent le même combat (conclusion) »98(*). Il persévère dans l'usage des syllogismes tronqués : « La première timidité de l'homme lui vient dès le moment où il a conscience qu'il regarde une femme (majeure)....je reste quand même un homme qui regarde en chacune de vous la mère, la soeur ou l'épouse (mineure) »99(*). La conclusion, qui serait « donc, je suis frappé par la timidité » est sous-entendue.

Les syllogismes tronqués tendent vers la forme des enthymèmes comme « je pense, donc je suis » de Descartes. En effet, l'orateur n'est pas un logicien. Il peut se permettre de ne pas énumérer tous les chaînons de son raisonnement. Sankara, ainsi laisse sous-entendues des prémisses qu'il considère comme admises ou connues de tous. Aristote présentait, dans son ouvrage Rhétorique, l'enthymème comme un syllogisme rhétorique100(*) Un enthymème permet une simplification du langage, Il facilite l'assimilation du message par l'auditoire. C'est une forme raccourcie du raisonnement qui présente des éléments généraux qu'on avance, mais qu'on ne démontre pas. Par cette technique, Sankara se met à l'abri de toute contestation, ce qui est d'une grande habileté rhétorique.

L'argumentation, à l'encontre de la démonstration ne se développe pas dans un système défini. Elle puise dans un corps d'arguments que la thèse défendue n'implique pas nécessairement. Les arguments sont, sur le plan rhétorique, plus ou moins forts selon leur spécificité. Il existe une série d'arguments qui ne se rapprochent pas de la pensée formelle, de nature logique ou mathématique et qui font appel à ce que Charles Perelman appelle « la structure du réel ». Ces arguments se fondent sur les liaisons qui existent entre les éléments du « réel »101(*) qu'il s'agisse du rapport de causalité, de raisonnement par le modèle ou l'exemple, et de l'argument d'autorité.

L'argument de l'efficacité consiste à recommander une mesure ou une décision en se fondant sur les conséquences favorables ou défavorables qu'elles entraîneraient. L'utilité du raisonnement par les conséquences semble si bien aller de soi qu'il n'a pas besoin d'être justifié. L'expérience que s'accorde dans ses discours Sankara, lui permet d'anticiper sur les conséquences. Ainsi pour Sankara, participer à la révolution est une évidence, puisqu'il pose comme conséquence la transformation positive de la société. Le résultat attendu est « une société qui non seulement détermine de nouveaux rapports sociaux mais provoque une mutation culturelle en bouleversant les relations de pouvoir entre hommes et femmes, et en . condamnant l'un et l'autre à repenser la nature de chacun. »102(*) Sankara met en valeur l'existence d'une corrélation entre la révolution culturelle et la nécessaire libération de la femme. C'est selon lui, effectivement l'une des conséquences attendues de la révolution que de « créer une nouvelle mentalité chez la femme voltaïque qui lui permette d'assumer le destin du pays aux côtés de l'homme ».

La volonté du tribun est de faire apprécier la révolution par la détermination de ses effets qu'il considère comme positifs. Poser l'acte révolutionnaire s'accompagne dans le discours sankariste par l'énoncé d'un résultat quantitatif précis. Il ne peut s'agir dans le cadre de cette recherche de multiplier les exemples. En effet l'argument de l'efficacité est majeur dans le discours sankariste puisque l'argumentation cherche à montrer au peuple burkinabé le monde meilleur qui l'attend grâce à la révolution.

L'argumentation par l'exemple est assez fréquente chez Sankara. Pour sortir d'un développement abstrait, il utilise des illustrations qui permettent d'examiner un fait de manière plus concrète, plus précise. Ce sont des preuves qui servent de fondement à une règle ou à un principe. « Il s'agit bien d'une argumentation visant à passer du cas particulier vers une généralisation. »103(*)

A propos du cynisme de l'homme à l'endroit de la femme, Sankara l'exprime par une série d'exemples : « c'était le cas, rapporte-t-on, chez ce fabricant de l'époque, qui n'employait que des femmes à ses métiers à tisser mécaniques. Il donnait la préférence aux femmes mariées et parmi elles, à celles qui avaient à la maison de la famille à entretenir, parce qu'elles montraient beaucoup plus d'attention et de docilité que les célibataires »104(*). Le président du CNR énumère les souffrances de la femme dans la société traditionnelle ou moderne : « Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme. Tous les fléaux de la société néo-coloniale, la femme les subit doublement : premièrement, elle connaît les mêmes souffrances que l'homme ; deuxièmement, elle subit de la part de l'homme d'autres souffrances. »105(*) L'argumentation par l'exemple permet de dénoncer avec plus d'évidence le joug qui pèse sur les femmes.

« Déjà aux quatre fronts du combat contre la maladie, la faim, le dénuement, la dégénérescence, nos soeurs subissent chaque jour la pression des changements sur lesquels elles n'ont point de prise. Lorsque chacun de nos 800 000 émigrants mâles s'en va, une femme assume un surcroît de travail. Ainsi, les deux millions de Burkinabé résidant hors du territoire national ont contribué à aggraver le déséquilibre du sex-ratio qui, aujourd'hui, fait que les femmes constituent 51,7% de la population totale. De la population résidente potentiellement active, elles sont 52,1% »106(*)

Tous ces exemples paraissent incontestables, « car c'est la réalité de ce qui est évoqué qui sert de fondement à la conclusion »107(*). Pour ne pas généraliser indûment, Sankara part d'exemples suffisamment variés. Les exemples portent en particulier sur la situation politique, sociale, économique de la femme. Traitant de la division du travail qui dévalorise la fonction de la femme, Sankara rejette la règle de manière souple. Il utilise de façon habile des exemples exprimés à la forme interro-négative, ce qui pousse l'auditoire à réviser ses positions et à oser le changement. « Occupation sans rémunération bien sûr car ne dit-on pas généralement d'une femme à la maison qu'elle « ne fait rien ? » N'inscrit-on pas sur les documents d'identité des femmes non rémunérées la mention « ménagère » pour dire que celles-ci n'ont pas d'emploi ? Qu'elles « ne travaillent pas ? »108(*). Ces exemples formulés sous forme de questions rhétoriques laissent les interlocuteurs face à leur propre conscience. Ils ont une force de persuasion par le fait même qu'ils ne peuvent pas être remis en cause.

Pour donner plus de force à ses idées, le président Sankara utilise des arguments d'autorité. Les autorités invoquées sont variables et coïncident avec celles soulignées par Perelman : «  l'opinion commune », « les savants », « les philosophes », les « pères de l'Eglise », « les prophètes » ; Les autorités impersonnelles comme « la physique », « la doctrine », « la religion », « la bible » ; et les autorités nommément désignées109(*)

Lorsque Sankara s'affiche comme marxiste-léniniste , il légitime son propos en puisant des références précises dans les oeuvres de Marx ou d'Engels. La force de l'argumentation tire de l'autorité dûment citée, un appui très important.

De la même façon que Sankara met en valeur l'autorité marxiste-léniniste qui s'accorde avec la thèse exposée, il dévalue l'autorité qui sous tend la thèse de l'adversaire. Les ennemis de la révolution, bourgeois et féodaux ne se cachent-ils pas derrière les philosophes antiques et les religions établies ? Sankara les dénonce avec virulence :

« Détrônée par la propriété privée, expulsée d'elle-même, ravalée au rang de nourrice et de servante, rendue inessentielle par les philosophies (Aristote, Pythagore et autres) et les religions les plus installées, dévalorisée par les mythes, la femme partageait le sort de l'esclave qui dans la société esclavagiste n'était qu'une bête de somme à face humaine »110(*)

Le discours politique de Sankara est donc un discours construit. Il est fondé sur une structure argumentative non dépourvue d'habiletés rhétoriques. Affirmer sans prouver par l'intermédiaire de syllogismes tronqués, établir des relations de causalité sans pour autant les justifier, légitimer un programme politique nouveau en faisant référence à des autorités incontestées du passé, sont autant de techniques argumentative qui servent d'outils à l'expression d'une volonté politique, celle d'imposer un changement profond socio-politique.

* 95 PERELMAN (Ch), L'Empire rhétorique, rhétorique et argumentation, Paris, Vrin, 1977, p. 23.

* 96 SAINT AUGUSTIN, De la doctrine chrétienne Livre IV, chapitre 13 cité par PERELMAN (ch), op. cit., p. 26.

* 97 GAKUNZI (D), op. cit., pp. 63-64.

* 98 GAKUNZI (D), op. cit., p. 64.

* 99 SAINT AUGUSTIN, op. cit., p. 221.

* 100 ARISTOTE, Rhétorique Livre I, 1357 a, cité par PERELMAN (Ch), op. cit., p. 51.

* 101 PERELMAN (Ch), op. cit., p. 96.

* 102 GAKUNZI (D), op. cit. p. 223.

* 103 PERELMAN (Ch), op. cit., p 119.

* 104 GAKUNZI (D), op. cit., p 225.

* 105 GAKUNZI (D), op. cit., p. 63

* 106 GAKUNZI(D), op. cit., p 231.

* 107 GAKUNZI(D), op. cit., p 231.

* 108 GAKUNZI(D), op. cit., p. 230.

* 109 PERELMAN (Ch), op. cit., p. 108.

* 110 PERELMAN (Ch), op. cit., p. 225

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