Thomas Sankara et la condition féminine: un discours révolutionnaire?( Télécharger le fichier original )par Poussi SAWADOGO Université de Ouagadougou - Maà®trise sciences et techniques de l'information et de la communication 1999 |
CHAPITRE IIRÉVOLUTION SANKARISTE ET STATUT DE LA FEMMELors d'une interview à Ouagadougou en mai 1984, le président Sankara expose avec soin le statut de la femme burkinabé. Il souligne que les femmes vivent dans une sorte d'univers carcéral. Au Burkina Faso les femmes représentent 51,1% de la population totale et, cependant, elles occupent une place marginale dans les secteurs éducatif, politique et socio-économique. 2.1 L'ÉDUCATION DE LA FEMMEQuel que soit le type d'orientation traditionnelle ou moderne, la jeune fille reçoit une éducation différente de celle de son frère. L'enseignement dispensé à la jeune fille consiste à la façonner, à la conditionner pour jouer son rôle ménager et maternel. Elle est éduquée dans le sens de la soumission. Dès les premiers âges de sa vie, ses jeux sont orientés vers les travaux ménagers et l'apprentissage de la maternité36(*). Les stéréotypes en matière d'éducation sont nombreux37(*). Les manuels scolaires, à travers les textes et les illustrations, véhiculent des préjugés à l'endroit des filles. Ils contribuent à perpétuer diverses formes de discrimination fondées sur le sexe. Ces documents sont des vecteurs de transmission des normes, des valeurs et d'une idéologie sexistes. Cela influence, avec certitude, le développement des attitudes et des comportements. Les représentations des filles restent négatives. Elles sont perçues comme des personnes passives, faisant preuve d'une affectivité excessive, obéissantes, dévouées, silencieuses, maladroites, faibles, dépendantes, parfois frivoles : toutes choses qui concourent à alimenter le mythe de la « femme objet ». Dans le Livre unique de français de l'écolier africain (cours moyen, deuxième année), en usage au Burkina Faso dans les années 1980, ces stéréotypes préjudiciables à l'image des filles foisonnent. A la page 14, on y lit : « Yassi, dont le nom signifie femme, était la plus jeune des filles de Drébedjé et de trois saisons moins âgée que Kossi. Douce elle était et jolie, et plaisante. Elle prenait son temps pour parler, ne s'emportait jamais, ne prononçait jamais un mot plus haut que l'autre » Dans la leçon de lecture « la préparation du repas »38(*), la petite Maïmouna est représentée comme mère et ménagère. Elle fait la vaisselle, va au marché pour l'achat de provisions et fait la cuisine. Elle doit accorder des soins précieux à sa poupée. Elle vaque chaque jour « à ses occupations en petite ménagère consciencieuse ». malgré son âge, Maïmouna a beaucoup d'amour propre et entend réussir dans toutes « ses naïves entreprises ». A l'opposé de ces filles dociles et soumises, le même manuel présente le jeune Julien comme le prototype du rebelle !39(*). Il refuse d'assurer la garde de la scie. « Au lieu de surveiller attentivement l'action de tout le mécanisme, Julien lisait ». Le prototype du jeune mâle viril devient dans ces ouvrages l'expression de la bravoure et du courage40(*). C'est ainsi qu'un jeune boxeur reçoit la plus belle médaille, celle vermeil de la ville de Paris. De telles images contenues dans les manuels scolaires contribuent à renforcer chez les jeunes des deux sexes, l'idée communément admise de la supériorité de l'homme (« sexe fort ») sur la femme (« sexe faible »). Favorisant une image traditionnelle de la femme, le système éducatif moderne connaît de fait une faible participation de la femme. Des disparités existent entre les garçons et les filles. En 1983, le taux de scolarisation au Burkina Faso est de 20%. Dans le primaire les filles représentent 37% des effectifs scolarisés. Ce chiffre est de 34,5% au secondaire et 22,9% au supérieur. Avec l'avènement de la révolution, l'éducation de base prend de l'importance. Au niveau du préscolaire, on assiste à la floraison de garderies populaires à partir de 1985. Ces établissements destinés à l'encadrement de la petite enfance visent à généraliser l'éducation préscolaire, à responsabiliser les familles à mieux jouer leur rôle dans les activités d'éveil du jeune enfant et à décharger les mères de la garde des enfants41(*). De telles structures d'éducation ont vu le jour dans la Chine maoïste. Au niveau de l'enseignement primaire, le constat est alarmant. Le taux de scolarisation des filles est nettement inférieur à celui des garçons. De 1985 à 1987, le nombre de filles inscrites pour 100 garçons inscrits est de 59 au primaire , 51 au secondaire et 29 au supérieur42(*). L'analphabétisme touche 92,5% de la population dont 98% des femmes43(*). L'alphabétisation qui a pris de l'importance avec la révolution présente aussi des disparités entre les hommes et les femmes. En 1985, le taux d'alphabétisation est de 14,48% dont 19,35% pour les hommes et 1,72%44(*) pour les femmes. Un certain nombre de contraintes justifient ce taux élevé de l'analphabétisme de la population féminine45(*) qui se caractérise par l'accès difficile et la durée de séjour réduite des filles à l'école. La cellule familiale préfère donner précocement ses filles en mariage. L'instruction, dans la mentalité des parents, est incompatible avec les qualités et les valeurs féminines. Cette méconnaissance de l'importance de l'éducation des filles fait que la jeune fille scolarisée est occupée à plein temps par des tâches domestiques pénibles46(*). Ne pouvant pas concilier la vie d'élève et les tâches domestiques, elle finit par s'exclure du système éducatif. Dans la communauté rurale, les chefs religieux s'opposent à l'éducation féminine. Ils craignent que la femme soit plus instruite que le futur mari. Les relations entre filles et garçons et celles entre filles et enseignants sont en défaveur des premières. De ce fait le maître accorde peu d'intérêt aux filles. A cela s'ajoutent les barrières culturelles entre les hommes et les femmes qui donnent naissance au préjugé selon lequel la fille a, par nature, des capacités moindres que le garçon pour apprendre. Cette misère intellectuelle des femmes les contraint à tenir un rôle secondaire, quand il s'agit de prendre une décision qui intéresse la vie de la famille ou de la communauté. * 36 INSD, Burkina Faso, Données démographiques, socio- économiques et culturelles sur les femmes du Burkina Faso, Ouagadougou, INSD, 1993, p. 7. * 37 CHLEBOWSKA (K), l'Autre Tiers Monde : les femmes rurales face à l'analphabétisme, UNESCO, 1990, pp. 76-77. * 38 Livre (Le) unique de français de l'écolier africain, Paris, EDICEF, pp. 34-35. * 39 Livre (Le) unique de français de l'écolier africain, Paris, EDICEF, pp. 244-245. * 40 Livre (Le) unique de français de l'écolier africain, Paris EDIFICEF, pp. 244-245. * 41 UNICEF, Analyse sur la situation des femmes et des enfants au Burkina Faso, Ouagadougou, UNICEF, 1994 p. 67 * 42 ONU, Les femmes dans le monde 1970-1990 : des chiffres et des idées, New - York, ONU, 1992, p. 50. * 43 BENABDESSADOK (C) , « Femmes et révolution ou comment libérer la moitié de la société », in Politique Africaine n 20, « le Burkina Faso », Karthala, décembre 1985, p. 54. * 44 UNICEF , op. cit., p. 73. * 45 CHLEBOWSKA (K) op., cit., p. 74. * 46 UNICEF, op. cit., p. 40. |
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