CHAPITRE VI : DISCUSSION DES RÉSULTATS
A la lumière des résultats obtenus sur le
terrain au niveau du rapport entre la réussite scolaire et le niveau
d'interaction (plus spécifiquement le niveau d'interaction faible et
élevé). Nous pouvons avancer que notre proposition de
départ a été infirmée. Lorsque nous regardons le
rapport entre les deux variables, nous constatons que le niveau d'interaction
n'est pas proportionnel à la réussite scolaire des apprenants
(des adolescents). Autrement dit, les données retrouvées sur le
terrain sont différentes à ce que nous attendions. Nous avons
pensé comme Ryan et Adams (1995) que la réussite scolaire des
apprenants allait s'améliorer à mesure que nous avançons
vers des interactions constructives élevées.
Du point de vue spécifique, les dix (10) cas
étudiés nous ont permis de voir que la réussite scolaire
ne concorde pas dans tous les cas avec le niveau d'interaction. Nous avons pu
voir de façon générale, en dépit du fait que la
perception des deux acteurs (parents et adolescents) se concorde, la moyenne
générale correspond très rarement aux deux perceptions.
Du point de vue général, la tendance est la
même. Au niveau de la population des adolescents qui auto rapportent un
niveau d'interaction faible le pourcentage de moyenne générale
modérée (75%) est le plus élevé, c'est le
même constat au niveau de la population des adolescents qui auto
rapportent un niveau d'interaction modéré (61.53%) de même
qu'au niveau des interactions élevées (62.50%). Les
résultats retrouvés au niveau du rapport entre les interactions
élevées et la réussite scolaire présente une
réalité similaire. Nous disons similaire, dans la mesure que ces
résultats traduisent une réalité contraire à ce que
nous attendions. Le taux de moyenne générale faible croît
(comme nous l'avons vu tantôt) à mesure que nous avançons
vers des interactions élevées ; par contre le taux de
moyenne générale élevé décroît
à mesure que nous avançons vers des interactions
élevées. Le taux de moyenne générale
élevée passe de 12.50% au niveau des interactions faibles
à 10.25 % au niveau des interactions modérées pour
atteindre 6.25 % au niveau des interactions élevées. Selon la
réalité retrouvée dans l'enquête, plus les
adolescents estiment que leurs parents sont engagés, impliqués
dans leur formation moins ils sont performants à l'école.
Au niveau des interactions modérées nous pouvons
constater une diminution du taux de réussite moyenne lorsque nous
faisons une comparaison avec les autres niveaux d'interaction. En effet, nous
voyons que le taux de réussite moyenne passe de 75 % au niveau des
interactions faibles à 62.50% au niveau des interactions moyennes pour
atteindre un taux de 61.53 % au niveau des interactions élevées.
Autrement dit, de façon globale (tous les niveaux d'interaction
confondus) nous nous attendions à ce que le pourcentage de
réussite moyenne soit le plus élevé au niveau des
interactions modérées, de même pour le rapport entre les
autres niveaux d'interaction (Faible et élevé) et les autres
niveaux de réussite (Faible et élevé). Tel n'a pas
été le cas.
Face à cette réalité, la question qui se
pose est la suivante : qu'est ce qui pourrait expliquer cette
différence entre les résultats retrouvés dans les
recherches et les résultats retrouvés sur le terrain ?
Qu'est ce qui pourrait expliquer cette non proportionnalité ou
cette non concordance entre les niveaux d'interaction et la réussite
scolaire des apprenants ? Quels sont les facteurs ou les
éléments de contexte qui peuvent jouer sur les deux variables de
l'étude pour engendrer la non confirmation de notre attente
théorique ?
Face à ces interrogations nous avons pensé
ouvrir la voie à de nouvelles pistes d'explication qui peuvent expliquer
la non confirmation de notre attente de départ. Ou encore trouver
d'autres éléments liés au contexte social, scolaire
et environnemental des adolescents qui pourraient influencer la relation entre
les deux variables de l'étude (interaction parent/adolescent axé
sur l'école et réussite scolaire).
Dans cette optique, nous avons exploré, à partir
de la littérature les pistes, qui peuvent donner des explications
pertinentes et solides à ce phénomène. Nous avons retenu
certaines pistes qui paraissent avoir du sens dans la réalité
haïtienne.
Notre première piste d'explication se rapporte aux
caractéristiques individuelles des adolescents. Dans cette rubrique nous
avons noté : les habilités intellectuelles et individuelles
des adolescents, les caractéristiques personnelles de ces derniers (leur
intérêt ainsi que leur goût pour l'étude. La
place que ces derniers accordent à l'école dans leur
projet de vie, la motivation qu'ils ont pour apprendre, l'aspiration scolaire
de ces derniers, leur niveau d'autonomie face aux tâches scolaires). Nous
avons ensuite les facteurs scolaires. Nous verrons les différents
éléments qui se trouvent dans le milieu scolaire haïtien qui
peuvent favoriser la réussite scolaire des adolescents (nous parlons de
réussite scolaire en cours de route, ou réussite scolaire
basée sur le rendement).
6.1-Les pistes d'explication
6.1.1- Les facteurs individuels
· Aspiration scolaire des adolescents
Dans une étude sur la problématique de l'abandon
scolaire des filles au Mali, Diallo (2001) constate qu'en dépit des
contraintes environnementales (socioculturelles, économiques) certaines
filles parviennent à compléter au moins le cycle de
l'enseignement fondamental. Diallo attribue cette
réussite à l'aspiration scolaire de ces filles qui, comme il l'a
avancé, est motivée par le fait qu'elles veulent
être « autre chose » que ce que la
société leur offre. Ce sont, selon le propre
concept de Diallo, des filles « résistantes ou
persistantes ». Dans une logique similaire à celle de la
réalité soulevée par Diallo, Bouchard et St Amant, bien
avant elle (1996), soutiennent que c'est cette résistance qui
amène les élèves des milieux populaires à
réussir l'école. En effet, selon ces derniers, les apprenants des
milieux populaires vont mettre en place des stratégies pour pouvoir
sortir du plan social que la société leur offre. Le désir
de sortir de la situation sociale, dans laquelle ces élèves
vivent, a amené ces derniers à développer des
stratégies pour résister aux conditions défavorables
(économiques et culturelles) de leur milieu.
Cette réflexion parait être assez
intéressante dans la recherche de pistes d'explication concernant la
réussite scolaire des adolescents qui vivent dans un contexte hostile
à l'apprentissage comme celui des milieux populaires ou
défavorisés d'Haïti. En effet, l'adolescent haïtien qui
vit dans un milieu défavorisé développe un ensemble de
stratégies pour pouvoir réussir à l'école. Ces
stratégies sont dues au fait qu'il doit réussir à
l'école pour pouvoir comme l'élève malien sortir de la
situation sociale dans laquelle il se trouve. C'est dans cette optique que nous
pouvons avancer que la réussite scolaire peut trouver des
éléments d'explication dans le fait que l'élève
aspire à aller le plus loin possible dans ses études. Dans
le contexte des milieux populaires, le niveau d'aspiration scolaire de
l'individu va le rendre plus résilient par rapport aux
difficultés qu'il va rencontrer dans son environnement. Par
résilience, nous entendons ici comme LePage (1997) la capacité
que l'élève a pour affronter les barrières afin de
réussir à l'école. Il s'agit dans le cas
précis de notre étude l'ensemble des stratégies mises en
place par l'adolescent (le travail en groupe, le prêt de livres, le
copiage d'un livre dans un cahier pour pouvoir étudier) pour surmonter
les conditions environnementales défavorables, qui peuvent handicaper sa
réussite. Ces conditions peuvent exister tant au niveau de la famille,
lorsque les parents n'ont pas la capacité culturelle ( niveau
d'étude ) ou économique (faible revenu) pour aider
l'élève, qu'au niveau de l'école, quand est
manifesté de la part des enseignants un manque
d'intérêt et d'attention vis-à-vis du contenu qu'ils
enseignent.
L'aspiration scolaire parait donc être une variable
assez importante dans la recherche d'éléments qui peuvent
influencer les deux variables de notre étude. Puisqu'en fait elle
représente un élément assez central qui permettra à
l'individu d'être motivé par rapport aux tâches
académiques. Un parent peut très bien encadrer son enfant,
interagir de façon très constructive avec lui, pour ce qui a
trait à sa formation, mais si ce dernier, surtout dans les milieux
défavorisés, n'a pas une aspiration scolaire
élevée, un rêve, un projet qui nécessite la
réussite à l'école, cette démarche des parents aura
très peu d'effet. L'aspiration scolaire de l'apprenant est donc un
élément qui va augmenter la motivation de ce dernier pour
réussir à l'école.
· La motivation scolaire
Le terme de motivation scolaire fait
généralement référence au comportement positif d'un
individu dans l'exécution d'une tâche. L'intérêt
manifesté pour un travail, la qualité et la quantité de la
production d'un élève est autant de facteurs qui peuvent
permettre d'attribuer à un élève l'épithète
« motivé ».
Pour des cognitivistes comme Tardif (1992), la motivation
traduit dans le contexte scolaire : l'engagement, la
persévérance et la participation de l'élève
dans une tâche. Elle est donc, toujours selon la perspective
cognitiviste, un processus de décision où l'individu choisit
d'agir en vue de contrôler son environnement tout en s'engageant (Diallo,
2001).
La motivation selon la source qui l'anime (interne ou
externe/environnemental) peut être intrinsèque ou
extrinsèque. Dans le contexte scolaire nous pouvons voir deux sources.
L'une qui est liée aux facteurs individuels (aspiration scolaire des
adolescents par exemple, le goût pour les études). Dans ce cas,
nous parlerons de motivation intrinsèque. L'autre source est liée
à l'environnement de vie de l'apprenant. Dans cette rubrique, nous
pouvons souligner les facteurs familiaux tels : l'aspiration scolaire des
parents et les renforcements positifs (encouragement) que les parents
donnent à l'adolescent. Les discussions parents/adolescents
orientées sur l'importance de l'école dans le projet de vie des
enfants, sont autant d'éléments environnementaux qui peuvent
motiver l'apprenant (pour) à réussir.
La motivation scolaire représente elle aussi une piste
assez intéressante qui peut expliquer la réussite scolaire de
l'apprenant. Dans notre étude, cette variable parait assez pertinente
lorsque nous nous basons sur les entrevues avec les parents. En effet, dans
notre étude nous voyons que les parents ont mis beaucoup d'accent sur
les discussions centrées sur le projet d'avenir des adolescents et aussi
sur les contributions affectives qu'ils apportent à ces derniers. De ce
fait, nous pouvons avancer que la motivation des adolescents pour apprendre
(nous sommes dans le contexte d'apprentissage scolaire) peut avoir une
influence sur l'aspiration scolaire de l'apprenant, mais en plus, elle peut
favoriser la mise en place de stratégies par ce dernier
(adolescent/apprenant) pour réussir. Réussite qui
présuppose une possibilité future de réussir dans la vie.
Dans le cas de ces adolescents, c'est devenir « autre
chose » ou d'éviter de vivre la même situation
sociale que leur parent ou encore de changer la vie de leur famille.
Le niveau d'aspiration scolaire de l'élève et sa
motivation pour changer sa vie et celle de son entourage sont deux
éléments de contexte individuel qui peuvent expliquer la
réussite scolaire des enfants qui vivent en milieu
défavorisé. Ces deux éléments peuvent prendre forme
à l'intérieur d'une réflexion faite par Girard
(2001). Réflexion qui explique le désir de scolarisation des
enfants/adolescents des milieux populaires par leurs parents et pourquoi pas la
source de motivation et d'aspiration de ces apprenants. L'auteur en essayant
d'expliquer pourquoi il y a tant d'enfants de milieux populaires qui vont
à l'école, déclare que ce phénomène
est lié à :
« Une volonté de ne pas être
marginalisé dans une société largement gouvernée,
en ses institutions par son savoir » (Girard 2001,
pg.72)
En dépit des limites réelles de cette
réflexion de Girard, elle souligne cependant assez clairement
l'élément central qui peut expliquer la motivation scolaire de
l'adolescent haïtien qui vit en milieu populaire. Elle mentionne tout
aussi bien la situation sociale que craint ce dernier (l'évitement de la
marginalisation sociale). Face à ce constat réel, nous pouvons
avancer que le désir d'avoir une vie meilleure parait à notre
sens être un élément fondamental qui motive les adolescents
à réussir.
· Le niveau d'autonomie
Un autre élément qui peut expliquer la
réussite scolaire de l'adolescent qui vit en milieu
défavorisé, est la capacité d'autonomie de l'apprenant
vis-à-vis des tâches scolaires. Généralement, dans
la littérature, lorsqu'on parle d'autonomie en relation avec le contexte
scolaire, les auteurs (Deslandes, Potvin et Leclerc & 1999)
considèrent : l'orientation vers le travail et le niveau
d'indépendance.
L'orientation vers le travail se rapporte aux
compétences que possède l'apprenant en lien avec le travail
scolaire. Il s'agit de l'ensemble des stratégies qui peuvent permettre
à l'individu d'avoir une attitude très assidue vis-à-vis
des tâches académiques, telles que sa persévérance
dans les tâches et sa résistance aux distractions.
L'indépendance de son côté se rapporte à l'absence
de dépendance excessive sur les autres, le sentiment de contrôle
et d'initiative.
L'ensemble de ces éléments joue un rôle
important dans la réussite scolaire de l'adolescent. La capacité
de persévérance dans les tâches scolaires et la
capacité de prendre des initiatives personnelles représentent
deux moyens qui peuvent permettre à l'apprenant de faire face aux
contraintes environnementales qui peuvent l'empêcher de réussir.
Le niveau d'autonomie de l'individu vis-à-vis des tâches scolaires
est très important puisqu'il permet à l'individu de se prendre en
charge, de développer des stratégies et de prendre des
initiatives qu'il estime être bon pour construire sa réussite.
Dans le contexte des milieux populaires, cette capacité
est à notre sens très importante parce qu'elle permet à
l'apprenant de réfléchir personnellement pour trouver des moyens
adaptés pour contrecarrer les différents obstacles qui peuvent
jouer sur sa réussite ou occasionner son échec.
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