La liberté de rompre unilatéralement le contrat( Télécharger le fichier original )par Michaël Barberis Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines - DEA 2002 |
Section I : Une liberté de rompre unilatéralement le contrat indépendante de la nature du lien contractuel17. Il convient au préalable de préciser que la
force obligatoire du contrat n'a pas une valeur constitutionnelle. Par sa
décision en date du 3 août 1994, le Conseil constitutionnel a mis
un terme aux débats doctrinaux concernant la constitutionnalité
du principe de liberté contractuelle, dont la force obligatoire du
contrat est une composante. Il a en effet décidé
« qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le
principe de liberté contractuelle59(*) ». La liberté contractuelle,
par ailleurs élevée au rang de principe fondamental au sens de
l'article 34 de la Constitution par le Conseil d'Etat60(*), peut donc être
confrontée à l'interventionnisme marqué du
législateur et à « l'envahissement de l'ordre
public61(*) ».
Cette décision nous permettra de nuancer tout au long de cette
section Sous-section I : Etude de la rupture des contrats à durée déterminée18. Pendant toute la durée prévue, le contrat présente un caractère obligatoire et aucune des parties ne peut, en principe, s'en délier sans commettre une faute contractuelle (§1). Ce n'est qu'exceptionnellement que le contractant insatisfait peut décider unilatéralement de la résolution du contrat avant son terme, sans recours préalable au juge (§2). § 1 : Une rupture nécessairement par mutuus dissensus19. Aux termes de l'article 1134, alinéa 2 du Code
civil, les conventions « ne peuvent être
révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que
la loi autorise ». L'expression « mutuus
dissensus » couramment utilisée par la doctrine pour
qualifier ce principe n'apparaît pas la plus appropriée. Elle
pourrait en effet être littéralement traduite par
« dissentiment mutuel62(*) » alors qu'aucun désaccord
n'oppose les parties en l'espèce ; elle s'entendent au contraire
pour mettre fin à la convention qu'elles ont préalablement
conclue. Quoi qu'il en soit le mutuus dissensus a vocation à
s'appliquer à tout accord de volonté (A) alors même que la
survenance d'un évènement étranger A] L'étendue du mutuus dissensus 20. L'originalité de la rupture par mutuus dissensus tient en ce qu'elle est le fruit d'un accord passé entre les parties (1) pour mettre fin à l'accord qu'elles avaient elles-mêmes conclu (2). 1°) Les conditions du mutuus dissensus Elles sont au nombre de deux. Le contrat doit, d'une part, ne pas avoir été exécuté (a) et les parties doivent, d'autre part, s'accorder pour le faire disparaître (b). a- L'inexécution du contrat 21. Il convient au préalable de dissocier le mutuus dissensus de l'exception non adimpleti contractus. Dans certains systèmes de Common Law, cette dissociation n'a pas lieu d'être ; « il existe une sorte d'accord ou de consentement mutuel, d'où résulte la résolution... L'inexécution joue le rôle de l'offre, et l'accord se réalise. Ainsi, la résolution du contrat comme sa conclusion, s'effectue grâce à l'échange des consentements63(*) ». En France, la résolution est en principe judiciaire et ce n'est qu'exceptionnellement qu'elle peut naître de la volonté unilatérale de la partie victime de l'inexécution64(*). Le fait que la seule inertie des contractants ne puisse fonder la rupture du contrat65(*) justifie que l'inexécution du contrat puisse constituer une condition du mutuus dissensus. Les parties ne peuvent donc convenir de révoquer un contrat totalement exécuté. Si tel était le cas il s'agirait d'une nouvelle convention en sens inverse, mais non d'un mutuus dissensus. Cette inexécution du contrat peut être totale ou partielle, porter sur l'obligation principale ou sur une obligation accessoire ou enfin être fautive ou non fautive. b- L'accord des volontés 22. L'accord par lequel les parties à un contrat décident d'y mettre fin, est lui-même un contrat. Il doit donc respecter les conditions prescrites par les articles 1108 et suivants du Code civil. Il convient tout d'abord de préciser que la jurisprudence n'a pas retenu en cette matière l'analyse selon laquelle l'article 1341 du Code civil est applicable à tous les actes juridiques qui ont « pour résultat immédiat et nécessaire, soit de créer ou de transférer, soit de confirmer ou de reconnaître, soit de modifier ou d'éteindre des obligations ou des droits66(*) ». La Cour de cassation a en effet jugé que le mutuus dissensus n'a pas besoin d'être prouvé par un acte écrit et formel ; il peut n'être que tacite et résulter des circonstances de fait dont l'appréciation appartient aux tribunaux67(*). 23. Le consentement _ Comme tout contrat, le mutuus dissensus se forme par la rencontre d'une offre et d'une acceptation. Tout comme l'offre, l'acceptation peut être tacite et se déduire de certains comportements, absence de protestation68(*) ou encore absence de mise en demeure du contractant défaillant, dès lors qu'elle répond à une offre certaine de résiliation. Cette relative souplesse n'éclipse toutefois pas la liberté d'une partie de refuser le mutuus dissensus ; elle peut exiger l'exécution du contrat pour des motifs qui lui sont propres et qu'elle n'est pas obligée de communiquer au cocontractant69(*). 24. La cause et l'objet _ La doctrine n'est pas unanime sur les limites de l'objet du mutuus dissensus : certains auteurs70(*) visent l'extinction du contrat initial lorsque d'autres71(*) s'attachent à l'obligation principale que le contrat fait naître. Si l'on retient l'analyse du Professeur Ghestin, l'objet du mutuus dissensus serait donc variable selon que les parties aient entendu mettre un terme à l'obligation née du contrat initial ou donner naissance à une obligation inverse de celle dudit contrat. Quant à sa cause, elle semble devoir être analysée en fonction de celle du contrat initial ; la cause de la révocation par consentement mutuel d'un contrat synallagmatique demeure en effet la contrepartie voulue par les parties. Une fausse cause ou une cause illicite, tel un comportement frauduleux, entraîneront donc la nullité du contrat. 25. Le formalisme _ L'exigence d'un parallélisme des formes entre la conclusion et la révocation du contrat a été soutenue par certains auteurs72(*). Spécifiques à l'anéantissement d'actes non solennels, les arrêts de la Cour de cassation reconnaissant la conclusion tacite du mutuus dissensus, ne peuvent véritablement nuire au soutien d'une telle théorie. En revanche, le refus, du législateur et de la jurisprudence, d'appliquer à la révocation par consentement mutuel le mécanisme instauré par l'article L. 225-38 du Code de commerce73(*) met véritablement à mal une telle exigence. Le parallélisme des formes ne peut d'autant moins raisonnablement apparaître comme un principe général de notre droit qu'il porte une atteinte frontale au consensualisme, qui reste la règle de principe à défaut de disposition contraire74(*). Ce refus de rechercher systématiquement la concordance des formes ne doit pas pour autant être interprété comme une objection générale et absolue. Certains auteurs proposent en ce sens de rechercher, au cas par cas, « la finalité des règles de formes qui étaient applicables à l'acte initial pour vérifier que leur respect reste nécessaire75(*) ». Le parallélisme des formes ne serait donc pas inexistant mais simplement réduit aux hypothèses où un contrat de même nature que celui qui a été rompu réalise une même opération en sens inverse, telles les formalités requises pour l'information des tiers et l'opposabilité de l'acte initial. 2°) Les effets du mutuus dissensus Il convient de distinguer les effets du mutuus dissensus à l'égard des parties, proches de ceux de la résolution (a), de ceux qui concernent les tiers (b). a- Les effets entre les parties 26. C'est par un arrêt de principe, en date du 27 juillet 1892, que la Cour de cassation a décidé que la révocation par consentement mutuel « produit le même effet que l'accomplissement d'une condition résolutoire, c'est-à-dire que les choses sont remises au même état que si l'obligation n'avait pas existé76(*) ». Dans le silence des parties, c'est tout d'abord l'interprétation de leur volonté qui conduit le juge à ordonner une telle remise en l'état77(*) ; la jurisprudence présume que les contractants ont eu l'intention de donner un effet rétroactif au mutuus dissensus afin d'éviter un enrichissement injuste lorsque le contrat rompu a fait l'objet d'un commencement d'exécution. Cette jurisprudence, bien qu'elle soit analogue aux suites que le droit donne à la résolution, a vivement été critiquée par la doctrine classique. La révocation résultant du consentement au sens contraire manifesté par les parties contractantes, ne devrait produire ses effets que pour l'avenir, non dans le passé, car ce dernier n'appartient plus aux parties contractantes et il n'est pas en leur pouvoir de supprimer ce qu'il contient78(*). D'autre part, si la doctrine admet aujourd'hui qu'un contrat puisse être révoqué une fois qu'il a fait l'objet d'un commencement d'exécution, son scepticisme quant à l'efficience de la mise en oeuvre de la rétroactivité de la révocation conventionnelle continue d'alimenter le rejet de l'assimilation des effets du mutuus dissensus à ceux de la résolution79(*). Mais aussi nombreuses soient ces critiques, la Cour de cassation n'a jamais entendu opérer un revirement de sa jurisprudence ; tout au plus trouvent elles un écho dans la négation du caractère absolu de la règle de non rétroactivité. La Cour de cassation a en effet ouvert une brèche en prononçant le maintien d'une clause de secret incluse dans le contrat initial80(*), une brèche que la doctrine s'est empressée de généraliser en limitant à l'avenir le jeu du mutuus dissensus des contrats à exécution successive81(*)... 27. Les solutions apportées par la Cour de cassation étant supplétives de la volonté des parties, celles-ci sont libres de déterminer les effets qu'elles entendent donner à la révocation par consentement mutuel. Le délicat problème des restitutions, intégrales ou partielles, pourra donc expressément être résolu par les parties ainsi que celui de l'indemnisation du préjudice éventuellement subi par l'un des contractants. Qu'en est il cependant du maintien des clauses ayant vocation à s'appliquer après que le contrat initial ait pris fin ? Les clauses du contrat initial prévoyant expressément les conséquences d'une résiliation amiable survivent au contrat dans lequel elles ont été insérées82(*) ; la spécificité de leur objet commande en effet un mutuus dissensus additionnel83(*). En ce qui concerne le sort d'une clause pénale, la Chambre commerciale a jugé que « justifie légalement sa décision faisant ressortir l'existence d'une novation, la Cour d'appel qui, appréciant souverainement la commune intention des parties, énonce que celles-ci sont convenues, dans un second acte passé postérieurement au premier comportant une clause pénale, non plus de sanctionner par avance l'inexécution éventuelle d'une promesse de vente mais de fixer, en conséquence de la résolution amiable intervenue, l'indemnité pour la non réalisation désormais acquise de la convention84(*) ». La clause pénale n'est donc pas éteinte du seul fait de la résiliation amiable et aurait pu être applicable si la convention révocatoire avait été muette sur ce point85(*). b- Les effets à l'égard des tiers 28. Le mutuus dissensus est opposable aux tiers en tant qu'il constitue un élément de l'ordonnancement juridique dont l'existence peut leur nuire ou leur profiter indirectement. Les créanciers étrangers au contrat révoqué peuvent donc tout d'abord se voir opposer, ou se prévaloir, de l'extinction des droits et obligations nés du contrat initial ; l'action oblique ne pourra notamment plus être exercée contre le débiteur du contrat initial. L'opposabilité de la convention aux créanciers souffre cependant des limites fixées par l'article 1165 du Code civil ; elle ne peut leur imposer des obligations ou encore supprimer des droits qu'ils ont acquis. La Haute juridiction a ainsi jugé que devait « être cassé l'arrêt qui, au motif que le contrat initial de concession des droits de distribution d'un film avait été résilié, déboute une banque de la demande en paiement qu'en vertu d'un contrat de nantissement portant sur les sommes à provenir de l'exploitation par voie de télévision du film, celle-ci a dirigé contre le dernier acquéreur des droits de diffusion de ce film, alors que la résiliation du contrat initial était inopposable à la banque qui était tiers par rapport à ce contrat86(*) ». Le créancier qui a obtenu la constitution d'une sûreté grevant le bien objet du contrat initial, ne saurait donc la perdre à la suite de la résiliation amiable de ce contrat. La règle n'est pas absolue et il est des cas où le mutuus dissensus sera opposable au créancier nanti. L'article 14, alinéa 2 de la loi du 17 mars 190987(*) prévoit ainsi que la résiliation amiable du bail d'un immeuble, dans lequel s'exploite un fonds grevé d'une inscription, ne devient définitive qu'un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits. Au terme de ce délai d'un mois, la perte du droit au bail, qui constitue par ailleurs une importante dépréciation de la sûreté, sera donc définitivement opposable au créancier nanti. 29. En ce qui concerne la stipulation pour autrui, le bénéficiaire peut se voir opposer la révocation du contrat, convenue par le stipulant et le promettant, tant qu'il n'a pas accepté la stipulation. Mais une fois qu'il a déclaré vouloir en profiter, il ne peut plus révoquer la stipulation88(*). Il ne devrait dès lors pas pouvoir consentir une résiliation amiable qui, vis-à-vis du tiers, constituerait une révocation de l'avantage promis89(*). Sur ce point précis, le consentement du tiers conditionne donc l'opposabilité de la résiliation amiable du contrat initial90(*). B] La force du mutuus dissensus : le refus de la révision pour imprévision 30. En matière contractuelle, l'imprévision n'est pas exclusivement sanctionnée par l'anéantissement de l'engagement. Contrairement à l'idée soutenue par le Professeur Voirin, selon laquelle « la seule sanction adéquate est la révision des modalités du contrat, leur adaptation aux circonstances nouvelles afin de maintenir en équation les buts contractuels et l'ambiance économique et sociale91(*) », le législateur n'a en effet pas souhaité définir de solution générale en la matière et privilégie, au gré des espèces, la révision du contrat, sa résiliation ou encore sa suspension. L'étude du refus de la révision pour imprévision nous apparaît cependant nécessaire car elle permet d'illustrer concrètement la portée de l'article 1134, alinéa 2 du Code civil. L'exigence d'un mutuus dissensus ne serait elle pas en effet insignifiante si elle devait systématiquement être écartée à chaque modification sensible de l'environnement contractuel ? Cette problématique nous conduira finalement à étudier davantage la force du mutuus dissensus à travers le débat sur un principe (1), le refus de la révision pour imprévision, et ses faiblesses (2), que le régime même de la révision pour imprévision. 1°) L'origine du refus de la révision pour imprévision Toute modification du contrat par rapport à son architecture originaire, quels qu'en soient le motif et la source, n'est pas susceptible de constituer un exemple de révision du contrat (a). Une fois caractérisée, l'analyse de son régime nous permettre de mettre en évidence la valeur de l'exigence d'un mutuus dissensus (b). a- Définition de la « révision pour imprévision » 31. Les codificateurs n'ont pas entendu définir la révision et ce n'est que de manière éparse qu'elle apparaît aujourd'hui dans le Code civil92(*). Pour le Professeur Jamin, « la révision postule un contrat valablement formé, dont les circonstances autorisent qu'il soit modifié au cours de son exécution, sans pour autant que cette modification, qui n'engendre pas un nouveau contrat, soit le fruit d'un texte spécifique ou d'un accord entre les parties93(*) ». Ce refus d'assimiler les révisions convenues par les parties ou imposées par la loi à celles dictées par le juge nous permettra d'affiner notre étude de la force du mutuus dissensus. 32. Quant à la définition de l'imprévision, nous retiendrons celle du Professeur Ghestin selon laquelle « il y a imprévision lorsque le prix d'un bien ou d'un service, fixé dans une convention ne correspond plus à sa valeur vénale objective appréciée par le juge en se plaçant au moment de l'exécution du contrat94(*) ». Ainsi définie, l'imprévision concerne toutes les conventions comportant des obligations exprimées par une unité monétaire et dont l'exécution n'est pas concomitante à la formation. b- Portée de la révision pour imprévision 33. « Dieu nous garde de l'équité des parlements95(*) » ; la maxime est aujourd'hui célèbre tant elle semble avoir guidé la plume des codificateurs. La crainte des arrêts de règlement des Parlements apparaît en effet comme l'une des principales sources d'inspiration de la rédaction de l'article 1134 du Code civil. C'est donc en réaction contre l'autorité législative, mais surtout judiciaire, que les codificateurs ont consacré la rigidité du lien contractuel et rejeté les velléités naissantes d'une révision pour imprévision. 34. La Cour de cassation n'a jamais entendu donner une application extensive des rares articles du Code civil envisageant la révision pour imprévision96(*). Dès 1876, elle conforte en effet la position des codificateurs en jugeant que « dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier la convention des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants97(*) ». Les motifs invoqués par les hauts magistrats ont fermement été contestés par la doctrine. Il est vrai que lorsque les juges décident d'appliquer l'article 1134 au cas d'espèce alors que le litige est antérieur à la rédaction du Code civil au motif que cet article n'est que la reproduction d'anciens principes constamment suivis, ils méconnaissent l'originalité du Code civil en matière d'obligations conventionnelles. Il est également vrai que lorsque les juges décident que le pouvoir judiciaire ne peut substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants, fût-ce pour des motifs d'équité, ils occultent peut-être trop catégoriquement le fait que « l'avenir de nombreux contrats est pluriel98(*) » et que les parties ne maîtrisent pas l'évolution externe de leur relation contractuelle. Mais aussi critiquable et critiquée soit-elle, cette décision n'en demeure pas moins une solution de principe régulièrement affirmée par la Cour de cassation99(*). 2°) La relativité du refus de la révision pour imprévision Le refus de la révision pour imprévision n'est pas absolu. La révision peut ainsi être convenue par les parties (a), imposée par le juge (b) ou encore par la loi (c). a- La révision du contrat convenue par les parties 35. L'article 1134 du Code civil n'étant pas d'ordre public, les parties sont libres d'organiser une adaptation de leur contrat en fonction de l'évolution des circonstances100(*). En pratique, elles recourent principalement à des clauses d'indexation, permettant de faire varier le montant d'une obligation de somme d'argent en fonction d'un élément objectif de référence, ou encore à des clauses de hardship par laquelle elles s'engagent à renégocier le contenu de leur accord lorsque les circonstances extérieures lui ont fait subir de profonds déséquilibres. Mais en supprimant le déséquilibre contractuel, ces clauses risquent de le remplacer par un autre ou encore d'entraîner une instabilité économique généralisée en provoquant une réaction en chaîne101(*). Quoi qu'il en soit, il convient de minimiser la portée de ces mécanismes ; ils ne portent pas véritablement atteinte à l'intangibilité du contrat dans la mesure où ils procèdent eux-mêmes de la liberté contractuelle. 36. L'atteinte est en revanche toute autre lorsque le juge
sanctionne une partie pour avoir refusé de procéder à la
révision du contrat. Telle est pourtant la solution retenue par la Cour
de cassation, le b- La révision du contrat imposée par la loi 37. Le législateur peut de sa propre initiative organiser la révision du contrat. De manière directe, il impose l'application immédiate de nombreuses lois et modifie donc unilatéralement le contenu de certains contrats. Pour des considérations d'ordre économique et social, ses interventions se sont particulièrement multipliées en matière de baux ou de contrats de travail. De manière indirecte, il confie au juge le pouvoir de procéder à une telle révision. Il en est notamment ainsi lorsque, conformément à l'article 1152 du Code civil, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la clause pénale initialement convenue par les parties. 38. Ces interventions du législateur sont aujourd'hui si nombreuses qu'une analyse descriptive n'apporterait pas nécessairement plus de poids à nos développements. Cette analyse nous semble d'autant moins s'imposer que nous souhaitons davantage examiner si ces interventions législatives nuisent véritablement à l'interdiction de réviser le contrat en cours d'exécution. Or si le législateur ordonne unilatéralement la modification d'un contrat en cours d'exécution, autrement dit la modification d'un accord dont le rang normatif est hiérarchiquement inférieur à celui de la loi, nous n'y voyons qu'une stricte application de la hiérarchie des normes. La révision du contrat par le législateur ne porte donc pas non plus atteinte à l'intangibilité des conventions car elle matérialise une hiérarchie normative que même certains partisans de l'autonomie de la volonté n'ont jamais remis en cause104(*). c- La révision du contrat ordonnée par le juge 39. Le juge admet dans certaines hypothèses la révision du contrat en l'absence de toute disposition conventionnelle ou législative. Pour exemple, en matière de baux des maisons et des biens ruraux, la Cour de cassation a jugé « que les dispositions de l'article 1719 et 1720 du Code civil, pas plus que celles de l'article 1722 n'obligent le bailleur à reconstruire la chose louée en cas de perte totale ou partielle, et qu'il y a perte partielle dès que partie de la chose louée ne peut plus être conservée sans dépense exagérée, et devient ainsi impropre à l'usage auquel elle était destinée105(*) ». La Haute juridiction a par la suite étendu cette assimilation, entre le cas fortuit et le caractère exagéré des dépenses, aux baux commerciaux106(*) ainsi qu'aux baux à usage d'habitation107(*). La Cour de cassation semble également accepter que l'adoption de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires puisse commander la révision du contrat. Par un arrêt de la Chambre sociale en date du 17 juin 1981108(*), les hauts magistrats ont en effet jugé qu'une modification législative, apparaissant en l'espèce comme une circonstance nouvelle produisant des effets sur le contrat, peut partiellement priver le contrat de l'objet et de la cause qui en avaient déterminé la conclusion et commander la résiliation partielle dudit contrat. La Haute juridiction semble cependant revenir progressivement sur sa position. Elle a ainsi jugé au visa de l'article 1220 du Code civil que l'obligation susceptible de division, devant être exécutée entre le créancier et le débiteur comme si elle était indivisible, les juges du fond n'ont pu valablement prononcer la révision partielle du contrat109(*). La doctrine n'a pas donné une interprétation uniforme à la portée de cet arrêt ; si certains auteurs110(*), satisfaits du renforcement de l'immutabilité du lien contractuel et du respect des prévisions légitimes des parties, ont entendu lui donner une portée générale, d'autres ont en effet limité la portée de cette décision aux seuls contrats dont le changement de circonstances n'est pas extérieur aux parties111(*). 40. Nous souhaitions au commencement de l'étude du
rejet de la révision pour imprévision, étudier la force du
mutuus dissensus. En l'absence de toute révocation
conventionnelle, les parties sont elles irrémédiablement tenues
d'exécuter leurs obligations ? C'est une réponse positive
que la Cour de cassation a apportée dès 1876. Nous assistons
cependant aujourd'hui à de nombreuses contrariétés que les
largesses de l'attendu de la Haute juridiction ne pouvaient laisser
présager. Leur ensemble * 59 Cons. const., décision n°94-348 du 3 août 1994, Recueil, p.117 ; RJC, p.I-602 ; Journal officiel du 6 août 1994, p.11 482 ; JCP éd. G. 1995, II, 22 404-22 405, p.119 et s. * 60 Cons. d'Etat, 5 mai 1967, Rec. CE, p.348. * 61 R. SAVATIER, La théorie des obligations en droit privé économique, Dalloz 1978, 4ème édition, p.161. * 62 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit. * 63 B. GILSON, Inexécution et résolution en Droit anglais, L.G.D.J. 1969, préface R. DAVID, n°56 et s., p.52 et s. * 64 Ce principe fera l'objet de plus amples discussions dans notre section seconde. * 65 Cass. com., 18 janvier 1984, Bull. civ. III, n°14, p.20, RTD civ. 1985, p.161, obs. J. MESTRE. * 66 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Droit civil introduction générale, L.G.D.J. 1977, n°478 et s., p.477 et s. * 67 Cass., 7 juillet 1858, D.P. 1858, 1, 329. * 68 Cass. civ. 1ère, 22 novembre 1960, D. 1961, jur. p.89, note G. HOLLEAUX. * 69 Cass. civ. 3ème, Bull. civ. III, n°71, p.58 ; D. 1968, jur. p.607, note P. MALAURIE ; JCP éd. G. 1969, II, 15 735, note R. D., RTD civ. 1968, p.735, obs. G. CORNU. * 70 R. VATINET, Le mutuus dissensus, RTD civ. 1987, n°25, p.272. * 71 J. GHESTIN, Traité de droit civil, Le contrat, tome 2, L.G.D.J. 1980, n°512. * 72 M. A. GUERRIERO, L'acte juridique solennel, L.G.D.J., 1975, préface J. VIDAL, p.399 ; F. DREIFUSS-NETTER, Les manifestations de volonté abdicatives, L.G.D.J., 1985, p.73 et s. * 73 Article L. 225-38 du Code de commerce (inséré par la loi n° 2001-420 du 15 mai 200, Loi relative aux nouvelles régulations économiques) : Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur général, l'un de ses directeurs généraux délégués, l'un de ses administrateurs, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 5 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3, doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Il en est de même des conventions auxquelles une des personnes visées à l'alinéa précédent est indirectement intéressée. Sont également soumises à autorisation préalable les conventions intervenant entre la société et une entreprise, si le directeur général, l'un des directeurs généraux délégués ou l'un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise. * 74 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°665, p.708. * 75 R. VATINET, Le mutuus dissensus, op. cit., n°29, p.274-275. * 76 Cass., 27 juillet 1892, D.P. 1892, 1, 462. * 77 Cass. com., 30 novembre 1983, Bull. civ. I, n°337, p.291 ; RTD civ. 1985, p.166, obs. J. MESTRE ; RTD com. 1989, p.149, obs. J. HÉMARD et B. BOULOC. * 78 G. BAUDRY LA-CANTINERIE, Précis de droit civil, Dalloz 1983, tome 2, n°824, p.587. * 79 R. VATINET, Le mutuus dissensus, op. cit., n°33, p.278. * 80 Cass. civ. 1ère, 2 juin 1993, Bull. civ. I, n°197, p.136. * 81 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°669, p.711. * 82 Cass. civ. 3ème, 26 avril 1984. * 83 R. VATINET, Le mutuus dissensus, op. cit., n°33, p.278. * 84 Cass. com., 13 octobre 1981, Bull. civ. IV, n°355, p.282. * 85 R. VATINET, Le mutuus dissensus, op. cit., n°33, p.278. * 86 Cass. com., 4 juillet 1984, Bull. civ. IV, n°214, p.179. * 87 Loi relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce. * 88 Article 1121 du Code civil. * 89 H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil, tome 2, 1er vol., op. cit., n°796, p.881. * 90 Cass. com., 28 février 1984, Bull. civ. IV, n°81, p.65. * 91 P. VOIRIN, De l'imprévision dans les rapports de droit privé, Th. Nancy, 1922, cité par J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°341, p.403. * 92 Les articles 900-3 et 900-4 n'ont été introduits dans le Code civil que par la loi n°84-562 du 4 juillet 1984, Loi permettant la révision des conditions et charges apposées à certaines libéralités. * 93 C. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code civil, Dr. & Patr. mars 1998, n°58, p.48. * 94 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°290, p.353. * 95 V. A. LOUVEAU, Théorie de l'imprévision en droit civil et en droit administratif, Th. Rennes, 1920, p.50-51. * 96 Articles 1769 à 1773 relatifs aux règles particulières des baux à ferme. * 97 Cass., 6 mars 1876, D.P. 1876, 1, 193, note A. GIBOULOT ; F. TERRÉ et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., p.406 ; C. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code civil, op. cit., p. 50 et 51. * 98 C. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code civil, op. cit., p. 52. * 99 Cass. com., 18 décembre 1979, Bull. civ. IV, n°339, p.266 ; RTD civ. 1980, p.780, n°3, obs. G. CORNU. * 100 Cass. com., 31 mai 1988, Bull. civ. IV, n°189, p.132 ; RTD civ. 1989, p. 71, n°5, obs. J. MESTRE. * 101 P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les obligations, Cujas 1999-2000, 10ème édition, n°620, p.356. * 102 Cass. com., 3 novembre 1992, Bull. civ. IV, n°340, p.242 ; JCP éd. G. 1993, II, 22 164, note G.-J. VIRASSAMY ; RTD civ. 1993, p.124, n°7, obs. J. MESTRE. * 103 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°312, p.376. * 104 V. supra n°7 et 8. * 105 Cass. soc., 6 avril 1951, Bull. civ. III, n°249, p.178 ; D. 1951, jur. p.505, note R. SAVATIER. * 106 Cass. soc., 16 mai 1958, Bull. civ. IV, n°574, p.427. * 107 Cass. civ., 6 février 1962, Bull. civ. I, n°84, p.75. * 108 Cass. soc., 17 juin 1981, Bull. civ. V, n°568, p.426. * 109 Cass. civ. 3ème, 16 avril 1986, Bull. civ. III, n°45, p.35 ; RTD civ. 1987, p.540, obs. J. MESTRE. * 110 J. MESTRE, obs. sous Cass. civ. 3ème, op. cit., p.542. * 111 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°311, p.374-375. |
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