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La liberté de rompre unilatéralement le contrat

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par Michaël Barberis
Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines - DEA 2002
  

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Section II : Une liberté de rompre unilatéralement le contrat fonction de l'équilibre contractuel

111. Nous avons montré que l'opposition entre la rupture des contrats à durée déterminée et celle des contrats à durée indéterminée tendait à s'estomper. Mais si pour renverser un principe il convient de disposer d'un principe concurrent, il nous faut dès lors nous risquer à combler le vide que nous avons créé. Nous souhaitons donc mettre en lumière tout au long de notre seconde section une liberté de rompre unilatéralement le contrat indépendamment de sa nature. Cette liberté est d'une part permise dès lors que le contrat présente un déséquilibre manifeste et d'autre part ouverte à tous les contractants qui ne sont pas à l'origine de ce déséquilibre. Il convient au préalable d'introduire le concept d'équilibre contractuel.

112. Ce concept contractuel représente l'idée selon laquelle « le contenu juridique et économique du contrat se trouve dans un état de repos et/ou d'harmonie et le reste malgré l'influence de forces extérieures sur ce contenu337(*) ». Il concerne donc d'une part le contenu du contrat et non le lien entre les parties contractantes, et d'autre part une certaine qualité du contenu du contrat, gage de stabilité et de souplesse. Dès lors, ce concept ne pouvait pas exister dans un ordre juridique classique dominé par l'autonomie de la volonté, telle qu'elle était présentée au XIXème siècle, dans la mesure où le lien entre les parties représentait l'élément exclusif du contrat. Il ne pouvait d'autant moins s'intégrer au système juridique élaboré par les codificateurs qu'il met parallèlement en lumière les lacunes d'une volonté jusqu'alors considérée comme souveraine et infaillible. Deux siècles d'activité législative et jurisprudentielle ont toutefois eu raison de cette rigidité ; indésirable au lendemain de la rédaction du Code civil, le concept d'équilibre contractuel est désormais en mesure d'intégrer notre système juridique et de servir de support à la liberté de rompre unilatéralement le contrat telle que nous la concevons (sous-section I) et telle que nous entendons en présenter le régime (sous-section II).

Sous section I : La substance de la rupture unilatérale

113. Le concept d'équilibre contractuel semble aujourd'hui pouvoir s'intégrer dans un ordre juridique renouvelé. Il convient désormais de préciser comment cette idée d'équilibre contractuel peut se traduire dans le droit positif. Il semble que le droit des contrats l'incorpore sous la forme d'une « notion juridique, véritable abstraction d'une situation de fait produisant un certain nombre d'effets juridiques338(*) ». L'exposé de cette notion (§1) s'accompagnera d'un travail de définition qui reposera sur la recherche de critères qui la détermineront de façon négative et positive (§2).

§ 1 : La notion d'équilibre contractuel

114. L'équilibre contractuel est à la fois une composition particulière du contenu du contrat, il correspondant alors à une juste répartition des éléments d'un tout (A), et une position particulière de ce contenu, il est alors compris comme l'état de stabilité relative de ce tout (B).

A] Un équilibre contractuel fonction de la composition harmonieuse du contenu du contrat

115. L'équilibre contractuel représente tout d'abord l'état d'harmonie du contenu du contrat. L'étude de son essence (1) invitera celle de sa diversité (2).

1°) L'essence de l'équilibre contractuel

L'étude de ce premier sens de l'équilibre contractuel (a) permettra de le distinguer de l'économie du contrat (b).

a- L'équilibre contractuel assimilé à la composition harmonieuse du contenu du contrat

116. Le contenu du contrat représente à la fois l'ensemble des droits et obligations permettant à l'échange économique de se réaliser et cet échange économique entre les prestations339(*). Les droits et obligations qui permettent à l'échange économique de se réaliser sont nécessairement en interaction. Celle-ci est particulièrement caractéristique dans les contrats synallagmatiques ; les contractants s'obligent en effet de façon réciproque et interdépendante les uns envers les autres340(*). Beaucoup plus diffuse dans d'autres contrats, tels les contrats unilatéraux, l'interaction reste décelable à travers l'exigence d'une cause imposée par les articles 1108 et 1131 du Code civil. Qu'elle soit analysée objectivement afin de caractériser l'existence de l'obligation, ou subjectivement afin d'apprécier la licéité de l'opération contractuelle, la cause apparaît en effet comme un indice de l'interaction des éléments du contenu du contrat.

117. Cette présentation permet de concevoir le contrat comme un système. Celui-ci se définit en effet comme un « ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'un but341(*) ». L'analyse systémique du contrat nous est dès lors permise. Elle se présente originairement comme un instrument utile car « à la différence de l'approche analytique, l'approche systémique englobe la totalité des éléments du système étudié, ainsi que leurs interactions et leurs interdépendances342(*) ». Elle apparaît en l'espèce comme un outil nécessaire car elle permet d'affronter la complexité du système343(*). Si l'on admet qu'un système est d'autant moins intelligible en raison de la variété et du nombre des éléments constitutifs et en raison de l'intensité et de la diversité des interactions entre ces éléments344(*), ne peut-on effet pas voir dans le contrat un système relativement complexe ? Dans une perspective conflictuelle du contrat, les parties tendent à rechercher le meilleur compromis entre les sacrifices qu'elles consentent et les bénéfices qu'elles escomptent, et alimentent ainsi au quotidien la complexification de leurs rapports. Ce phénomène est accentué par le fait que les situations que les contrats doivent organiser sont elles-mêmes plus complexes, denses et variées que par le passé. Que ce soit à travers la précision de mécanismes supplétifs ou à travers la liberté contractuelle des parties de déterminer comme elles l'entendent l'étendue de leurs engagements, le contrat s'adapte donc aux contraintes économiques et devient de plus en plus difficile à appréhender.

118. L'approche systémique autorise donc l'analyse de l'interaction des éléments du contrat, aussi complexe soit-elle. Elle permet ainsi de mettre en évidence l'équilibre d'un système défini comme la « juste répartition des éléments d'un tout345(*) ». Par extension, l'équilibre contractuel caractériserait donc une juste répartition des éléments du contenu du contrat, plus exactement de tous les éléments du contenu du contrat. Il serait artificiel et contraire à l'objectif économique d'une relation contractuelle d'opérer une dissociation entre les éléments juridiques et les éléments économiques ; ils sont en effet inextricablement liés et « se fédèrent autour de la dynamique économique de ce contrat346(*) ». Trouvant sa source dans ce système évolutif et uniforme qu'est le contrat, l'équilibre contractuel se présente dès lors comme « la composition harmonieuse du contenu du contrat, apprécié dans sa globalité. Par opposition, le déséquilibre contractuel signifie une composition non harmonieuse du contenu du contrat envisagé dans sa globalité347(*) ».

b- L'équilibre contractuel distinct de l'économie du contrat

119. La notion d'économie du contrat n'a nullement été envisagée par les codificateurs. La Cour de cassation348(*) ainsi que le Conseil constitutionnel349(*) s'y réfèrent aujourd'hui expressément mais, privilégiant certainement les avantages de sa souplesse, n'en définissent nullement les contours. L'économie du contrat a notamment été définie en doctrine comme « l'ensemble des lois (au sens matériel) qui régissent la structure du contrat350(*) ». Présentée comme « l'organisation des parties d'un ensemble, d'un système, sa structure351(*) », l'économie du contrat représente une réalité différente de celle de l'équilibre contractuel ; elle désigne davantage l'organisation d'un ensemble que sa qualité. A cet égard, un arrêt de la Cour de cassation est topique ; la Chambre commerciale avait cassé un arrêt de Cour d'appel en visant l'article 1134 du Code civil, car « il ne résultait pas de ses constatations que le franchisé ait donné son accord pour que soit modifiée l'économie du contrat352(*) ». Pour ce faire, la Haute juridiction avait seulement constaté que les obligations promotionnelles du franchiseur au bénéfice du franchisé relevaient de cette économie sans avoir pour autant rechercher l'existence d'un équilibre. Cela tend à « relativiser l'apport de la notion d'économie, qui ne signifierait rien d'autre que la loi des parties353(*) ».

120. Présentée comme un moyen d'apprécier le bouleversement du contrat354(*), l'économie du contrat marque une nouvelle fois sa singularité. Le juge a en effet égard à la nature de la convention, son contenu ainsi que les circonstances entourant sa formation et son exécution355(*) mais n'apprécie nullement la qualité du contenu du contrat. L'économie du contrat se distingue donc de l'équilibre contractuel en ce qu'elle représente l'organisation du contrat, sans aucune appréciation de sa qualité356(*). L'équilibre et l'économie du contrat représentent en définitive deux notions complémentaires. « L'économie du contrat signifie l'organisation du contenu du contrat alors que l'équilibre contractuel désigne une certaine qualité de ce contenu apprécié globalement. Cette notion représente donc une composition harmonieuse particulière du contenu du contrat : elle suppose une répartition harmonieuse des éléments du contenu du contrat357(*) ».

2°) La diversité de l'équilibre contractuel

La diversité de l'équilibre contractuel s'explique essentiellement par la volonté des parties de conclure un contrat et un équilibre adapté à leurs besoins (a) mais résulte également des spécificités inhérentes à chaque type de contrat (b).

a- Une diversité générée par la liberté contractuelle

121. Le contenu concret du contrat peut incontestablement varier à l'infini, « suivant la mobilité des intérêts qui le suscitent et les nuances des volontés qui le créent. De fait, personne n'oserait soutenir aujourd'hui que la liste de nos contrats soit légalement arrêtée et que les conventions privées restent impuissantes à engendrer des combinaisons, élargissant sans limites les types offerts par les Codes civil, ou de commerce et les lois spéciales qui les complètent358(*) ». En ce sens, la remise en cause du dogme de l'autonomie de la volonté a certes dynamisé l'interventionnisme législatif et donné une nouvelle dimension à l'ordre public, mais n'a nullement condamné la liberté des parties de déterminer comme elles l'entendent l'étendue de leurs accords. La renonciation du Conseil constitutionnel d'accorder une valeur constitutionnelle à la liberté contractuelle359(*) ne doit pas non plus être interprétée comme l'annonce de son déclin. Cette même institution a en effet décidé que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789360(*) ».

122. Comme nous l'avons vu, la liberté contractuelle est enfin nécessaire à l'adaptabilité du contrat à la réalité économique et aux besoins des parties contractantes. Aussi interventionniste soit-elle, la loi ne saurait totalement se substituer à la volonté des parties. Qu'elle le manifeste à travers la dénonciation des atteintes à l'intangibilité des conventions361(*), ou plus énergiquement par le plaidoyer de sa constitutionnalisation362(*), la doctrine apporte en ce sens un soutien sans faille à la protection de la liberté contractuelle. Le principe de la liberté contractuelle, « maintenu car nécessaire363(*) », assure donc une certaine pérennité de la différenciation en matière contractuelle. Il en résulte une diversification conséquente de l'équilibre contractuel.

b- Une diversité inhérente à la nature de certains contrats

123. L'équilibre contractuel dans les contrats unilatéraux _ Le contrat est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes sont obligées envers une ou plusieurs autres, sans que de la part de ces dernières il y ait d'engagement364(*). L'engagement d'une seule partie ne peut cependant contrarier l'existence d'un équilibre contractuel intimement lié à la cause du contrat. En cette matière, la cause réside non pas dans la contreprestation mais dans le fait qui sert de base au contrat365(*). Dans le contrat de prêt traditionnel, l'obligation de restituer trouve ainsi sa cause dans le fait que l'emprunteur a reçu la chose prêtée. Mais au-delà de ce simple échange matériel, le contrat de prêt tend à mettre à disposition d'une personne une chose alors qu'elle en a un besoin immédiat, causant un dommage et engendrant un risque pour l'autre partie qui lui rend service. Cette nouvelle conception a le mérite de correspondre davantage à la pratique du prêt et de justifier la conclusion d'un prêt avec intérêts. L'équilibre de ce contrat prend dès lors en compte d'une part l'obligation unilatérale et sa contrepartie, qui bien souvent réside dans la remise de la chose avec obligation corrélative de la restituer, et d'autre part « le profit résultant de cette mise à disposition de la chose et le dommage ou le risque subi par l'autre partie, compensé alors par une rémunération366(*) ».

124. L'équilibre contractuel dans les contrats de « longue durée » _ Dans les contrats conclus pour une longue durée, cette dernière est souvent « comptabilisée dans la recherche de l'équilibre contractuel367(*) ». Ainsi dans les contrats nécessitant des investissements coûteux, tel l'exemple précité du contrat de concession368(*), les parties conviennent de diverses garanties destinées à assurer la stabilité du contrat, tout du moins une durée minimale, pour qu'elles puissent bénéficier d'un retour sur investissement. La durée influence essentiellement le contrat de deux manières369(*). L'équilibre peut tout d'abord n'être réalisé qu'après une certaine période d'exécution ; la contre-prestation peut notamment être décalée dans le temps. La durée intervient d'autre part dans la fixation du prix. Ainsi, le remboursement anticipé d'un prêt à intérêt, bouleverse pour le prêteur l'équilibre du contrat puisque le coût de l'emprunt est calculé en considération de la durée de celui-ci ; « le contrat équilibré lors de sa formation, cesse de l'être à partir du moment où l'on fait jouer la clause de remboursement anticipé370(*) ». Pour remédier à ce déséquilibre et obtenir la compensation des intérêts initialement convenus, les prêteurs recourent à des indemnités compensatrices. Malgré les réticences exprimées par le législateur en droit de la consommation371(*), la Cour de cassation valide ces indemnités « dès lors que ces " intérêts compensatoires " ne visent qu'à porter la rémunération du prêteur à un montant conforme au taux moyen d'intérêt convenu372(*) ».

L'équilibre contractuel a donc pour objet une situation diversifiée en raison de la liberté contractuelle des parties mais aussi « de la nature spécifique de certains contrats373(*) ».

B] Un équilibre contractuel fonction de la relative stabilité du contenu du contrat

125. L'équilibre contractuel représente également la position du contenu du contrat par rapport à son environnement qui évolue. L'étude de son essence (1) invitera cette fois celle de sa fragilité (2).

1°) L'essence de l'équilibre contractuel

L'étude de ce second sens de l'équilibre contractuel (a) permettra de le dissocier de la stabilité du contrat (b).

a- Un équilibre lié à l'environnement contractuel

126. Un système peut également être envisagé comme un tout qui apparaît en relation avec son environnement374(*). L'analyse systémique du contrat, appréhendant cette fois son contenu comme un tout en relation constante avec l'environnement dans lequel il évolue, permet dès lors de mettre en évidence cet aspect dynamique du contrat. Elle oppose dans cette optique les « systèmes ouverts », en relation permanente avec leur environnement, aux « systèmes fermés », peu sensibles à l'évolution de l'environnement375(*). Le contenu du contrat ne peut aujourd'hui être présenté comme un système fermé, comme une entité qui se suffise à elle-même. En ce sens, certains auteurs ont souligné qu'en « prétendant fixer l'avenir par le contrat et par la loi, l'individualisme méconnaît le mouvement de la vie376(*) ».

127. La précision du contenu du contrat est en effet le siège de considérations économiques, tel l'état du marché, et juridiques, telles les conditions de validité du contrat, qui lui sont extérieures et qui l'influencent inévitablement. L'accord de volonté porte donc sur un contenu, que constituent les prévisions intrinsèques des contractants, commandé par la prise en considération de précisions extrinsèques comprenant les circonstances existant lors de la conclusion du contrat ainsi que les évènements futurs qu'elles ont pu prévoir377(*). Influencées par l'évolution législative et jurisprudentielle, ces prévisions extrinsèques peuvent être déjouées et donc avoir des répercussions sur le contenu du contrat ainsi que sur son équilibre378(*).

128. Cette vision dynamique du contenu du contrat commande une autre approche de l'équilibre contractuel. Il ne caractérise plus la composition harmonieuse du contenu du contrat mais davantage « la position de relative stabilité de ce même contenu379(*) ». Ces deux facettes de l'équilibre contractuel ne s'opposent pas, elles se complètent. Au stade de la conclusion du contrat, l'existence d'une composition harmonieuse de son contenu reflète également un équilibre vis-à-vis de son environnement. Cet équilibre n'est cependant efficient que lorsque le contexte économique et juridique dans lequel il s'inscrit est maintenu. La seconde acceptation ne présente d'intérêt que dans une perspective évolutive ; l'évolution de l'environnement implique la modification de cette composition qui a subi l'influence du contexte extérieur afin de retrouver une nouvelle répartition équitable entre les droits, obligations et prestations.

b- Un équilibre distinct de la stabilité du contenu du contrat

129. La modification de la composition harmonieuse du contrat génère des situations non uniformes. Certains mécanismes, telles les clauses garantissant la valeur du bien reçu en contrepartie, permettent au contenu du contrat de retrouver sa position d'équilibre initiale et maintiennent donc l'équilibre du contrat. D'autres, telles les clauses de hardship, aboutissent au contraire à une position d'équilibre différente. « C'est pourquoi l'équilibre contractuel représente une position de relative stabilité du contenu du contrat380(*) ». La stabilité du contrat n'a en effet rien d'absolu ; elle dépend d'une part du contexte dans lequel évolue le contrat et d'autre part du résultat puisqu'elle peut aussi bien aboutir à une nouvelle position d'équilibre qu'à la position d'équilibre initiale si la composition harmonieuse qui existait au jour de la conclusion du contrat est à nouveau atteinte381(*).

2°) La fragilité de l'équilibre contractuel

Le propre de l'équilibre étant la fragilité et la précarité382(*), il convient d'étudier les facteurs liés aux parties (a) et ceux indépendants de leur volonté (b) qui en altèrent la stabilité.

a- Une fragilisation liée aux parties

130. Seuls les comportements des parties modifiant le contenu de l'engagement sont de nature à compromettre l'équilibre du contrat. L'inexécution n'est donc pas, à elle seule, un facteur de fragilisation mais une méconnaissance de l'équilibre du contrat. La modification unilatérale des conditions de concurrence produit en revanche de tels effets. Il en est de même des conséquences du surendettement de l'un des cocontractants ; les délais de grâce et la réduction du taux d'intérêt accordés par le juge au titre de l'article 1244-1 du Code civil, les pouvoirs de la Commission de surendettement, ou encore ceux du juge commercial dans le cadre d'une procédure collective fragilisent l'équilibre contractuel. Les différentes mesures visant à permettre au débiteur de s'exécuter ont en effet pour conséquence de modifier le contenu du contrat ainsi que, par ricochet, la composition harmonieuse qui présidait lors de sa conclusion. Les modifications apportées par l'une des parties au contrat en cours d'exécution peuvent enfin en fragiliser l'équilibre. La jurisprudence sociale en matière de modification unilatérale du contrat de travail, distinguant désormais la modification du contrat de travail de la modification des conditions de travail383(*), est particulièrement intéressante. La Chambre sociale refuse notamment à l'employeur la possibilité de modifier unilatéralement le lien de subordination juridique, les fonctions ou encore la rémunération du salarié sans son accord. Il importe peu que la modification de l'un de ces éléments soit importante ou minime384(*), préjudiciable ou non préjudiciable au salarié385(*). Au nom de son pouvoir de direction, l'employeur peut en revanche modifier unilatéralement l'affectation des horaires ou encore la tâche du salarié386(*), si et seulement si cette modification ne porte nullement atteinte, de manière indirecte, à la rémunération ou encore à la durée du contrat. Dès lors qu'il ne menace pas le socle du contrat de travail, l'employeur peut donc en modifier unilatéralement le contenu et altérer de manière conséquente l'équilibre contractuel.

b- Une fragilisation extérieure aux parties

131. Une fragilisation d'ordre juridique _ La sacralisation des articles du Code civil relatifs au contrat ne doit pas occulter l'évolution qui se dessine ; « le droit des contrats (...) n'est plus qu'en apparence celui de 1804 ; sous la lettre à peu près immobile du Code, est apparu et s'est développé, sous l'influence conjuguée des lois spéciales, de la jurisprudence et de la pratique contractuelle, commerciale ou notariale, un droit vivant différent du droit écrit, un droit des contrats en dehors de la lettre figée du Code387(*) ». Ainsi, la loi du 6 juillet 1989388(*) relative aux baux d'habitation, ou encore les lois Aubry des 13 juin 1998389(*) et 19 janvier 2000390(*) relatives à la réduction du temps de travail, imposent de nouvelles obligations, interdisent de nouvelles clauses et modifient l'équilibre d'un contrat qui n'a plus rien d'un bloc de clauses indivisibles et immuables391(*). L'atteinte que porte le législateur à l'équilibre contractuel n'est pas uniforme. Elle est superficielle lorsque la loi nouvelle ne s'applique pas de façon rétroactive. Aussi discuté soit-il392(*), le principe de survie de la loi ancienne permet donc de préserver l'équilibre tel qu'il était initialement convenu par les parties. L'atteinte est en revanche beaucoup plus pesante, lorsque la loi nouvelle est d'application immédiate aux effets futurs du contrat. Cette entorse au principe ci-dessus évoqué peut tout autant résulter d'une manifestation expresse de la volonté du législateur qu'être déduite par la jurisprudence eu égard à l'esprit général particulièrement impérieux de la loi. L'application de la loi nouvelle modifiant les droits des parties engagées, principalement en matière de contrats de bail ou de consommation, est donc de nature à déstabiliser sensiblement l'équilibre contractuel.

132. Une fragilisation d'ordre économique _ Les crises de 1929 et de 1970 ont profondément bouleversé le monde de l'économie. Mais au regard de l'influence qu'exercent au quotidien les mouvements imprévus des prix, les évolutions technologiques ou encore la variation de la parité des unités monétaires dans lesquelles sont exprimées les prestations, ces crises ne constituent qu'une part infime de l'impact qu'exerce l'économie sur le domaine juridique393(*). Le droit des contrats se présente plus particulièrement comme la grande victime de l'instabilité ; « le déséquilibre entraîne pour les contrats en cours, des avantages inespérés pour les uns, des pertes injustes pour les autres394(*) ». La règle d'équivalence qui forme la base du contrat n'étant plus respectée, il y a donc un véritable risque que l'équilibre entre les prestations respectives mentionnées au contrat soit rompu395(*). Ce risque ne peut être maîtrisé que partiellement par les cocontractants. La liberté contractuelle ne permet en effet aux parties de n'envisager que les cas fréquents, ordinaires ou du moins accessibles à leur esprit. Elles omettent obligatoirement « les cas extraordinaires et inconnus, qui ne sont pas encore présentés dans la pratique ou qui échappent à leur pensée. Quant à la réalité du futur, ils ne peuvent que l'imaginer, l'expérience leur manque forcément396(*) ».

133. L'équilibre contractuel représente donc d'un point de vue statique « l'état d'harmonie du contenu du contrat apprécié dans sa globalité et caractérisé par sa diversité397(*) ». Par ailleurs, cette notion désigne également d'un point de vue dynamique « la stabilité relative de ce même contenu et se caractérise alors par sa fragilité398(*) ».

* 337 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, L.G.D.J. 2002, préface C. THIBIERGE, n°236, p.164.

* 338 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°185, p.131.

* 339 S. MITHOUARD, Contenu du contrat, Juris-Classeurs Contrats-Distribution, fasc. 50, 1992, n°1 et 6.

* 340 F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n°60 et 61.

* 341 D. DURAND, La systémique, Que sais-je ? 1998, n°1795, p.7 et 8.

* 342 D. DURAND, La systémique, op. cit., p.6.

* 343 D. DURAND, La systémique, op. cit., p.6.

* 344 D. DURAND, La systémique, op. cit., p.1.

* 345 Grand Larousse en 5 volumes 1994.

* 346 R. MARTY, De l'absence partielle de cause de l'obligation et de son rôle dans les contrats à titre onéreux, Th. Paris II, 1995, n°180.

* 347 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°232, p.160.

* 348 Cass. civ.1ère, 6 juillet 1959 ; Rev. Crit. DIP 1959, p.708, note BATIFOL ; B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz 1998, 3ème édition, n°35, p.261.

* 349 « Le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 », décision du 10 juin 1998, n°98-401 DC, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, JO 14 juin 1998, p.9033.

* 350 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit.

* 351 Grand Larousse en 5 volumes, 1994, Economie.

* 352 Cass. com., 3 janvier 1996, RJDA 1996, n°490.

* 353 J. MOURY, Une embarrassante notion : L'économie du contrat, D. 2000, chr. p.383 et s.

* 354 CA Paris, 11 juillet 1986, D. 1986, Inf. rap. p.378.

* 355 J. MOURY, Une embarrassante notion : l'économie du contrat, op. cit.

* 356 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°236, p.164.

* 357 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°237, p.164.

* 358 F. GENY, Science et technique en droit privé positif, 3ème partie, Dalloz 1915, n°209.

* 359 Cons. const., décision n°94-348, op. cit.

* 360 Cons. const., décision n°98-401 du 10 juin 1998, Recueil, p.258, Journal officiel du 14 juin 1998, p.10 147.

* 361 V. supra n°117.

* 362 B. MATHIEU, Liberté contractuelle et sécurité juridique : les oracles ambigus des sages de la rue de Montpensier, P. A., 7 mars 1997, p.6.

* 363 L. BOYER, Contrats et conventions, Encyclopédie Dalloz 1993, n°33.

* 364 Article 1103 du Code civil.

* 365 A. BENABENT, Droit civil, Les obligations (édition 1997), op. cit., n°182, p.130.

* 366 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°246, p.171.

* 367 M.-E. PANCRAZI-TIAN, La protection judiciaire du lien contractuel, PUAM 1996, préface J. MESTRE, n°356, p.293.

* 368 V. supra n°90.

* 369 M.-E. PANCRAZI-TIAN, La protection judiciaire du lien contractuel, op. cit., n°293, p.356.

* 370 J.-R. MIRBEAU-GAUVIN, note sous Cass. civ. 1ère, 7 février 1995, D. 1996, jur. p.68.

* 371 Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, Loi relative au surrendettement des ménages.

* 372 Cass. civ. 1ère, 7 octobre 1992, D. 1992, Inf. rap. p.254.

* 373 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°254, p.179.

* 374 D. DURAND, La systémique, op. cit., p.1.

* 375 D. DURAND, La systémique, op. cit., p.14.

* 376 G. MORIN, La révolte des fait contre le Code, Grasset 1920, p.131.

* 377 H. LECUYER, Le contrat, acte de prévision, in Mélanges en hommage à François Terré, L'avenir du droit, op. cit., p.643 et s.

* 378 H. LECUYER, Le contrat, acte de prévision, op. cit., in Mélanges en hommage à François Terré, L'avenir du droit, op. cit., p.654.

* 379 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°258, p.181.

* 380 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°260, p.182.

* 381 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°260, p.182.

* 382 J.-C. et J.-L. FOURGOUX, La réforme de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence : la loi n°96-588 du 1er juillet 1996 : addition ou soustraction ?, JCP éd. E. 1996, I, 601, n°26.

* 383 Cass. soc., 8 janvier 1997, Bull. civ. V, n°3, p.2.

* 384 Cass. soc., 19 mai 1998, Semaine sociale Lamy n°890, p. 11.

* 385 Cass. soc., 28 janv. 1998, Semaine sociale Lamy n°874, p. 13.

* 386 Cass. soc., 17 octobre 2000, D. 2001, jur. p.1759, note C. PUIGELIER.

* 387 L. CADIET, Interrogations sur le droit contemporain des contrats, in Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives, Economica 1987, n°3, p.10.

* 388 Loi n°89-462 du 6 juillet 1989, op. cit.

* 389 Loi n° 98-461 du 13 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.

* 390 Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail.

* 391 P. ROUBIER, Le droit transitoire, Conflits des lois dans le temps, Dalloz 1960, 2ème édition, p.392.

* 392 T. BONNEAU, Application de la loi dans le temps, loi nouvelle et évènements futurs, Juris-Classeurs civ. 1992, art.2, Fasc. 30, n°56.

* 393 M. VAN CAMELBEKE, L'adaptation du contrat international aux circonstances économiques nouvelles, in Les modifications du contrat au cours de son exécution en raison des circonstances nouvelles, sous la direction de R. RODIÈRE et D. TALLON, Pédone 1986, p.169.

* 394 A. TRASBOT, La névaluation monétaire et les contrats de droit privé, in Le droit privé français au milieu du XXème siècle, Etudes offertes à G. RIPERT, tome 2, L.G.D.J. 1950, p.160.

* 395 P. AZARD, L'instabilité monétaire et la notion d'équivalence dans le contrat, JCP éd. G. 1953, I, 1092, n°1.

* 396 C. STOYANOVITCH, De l'intervention du juge dans le contrat en cas de circonstance imprévues, Th. Aix-Marseille, 1941, p.282, cité par L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°264, p.185.

* 397 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°274, p.194.

* 398 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°274, p.194.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe