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La liberté de rompre unilatéralement le contrat

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par Michaël Barberis
Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines - DEA 2002
  

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Sous section II : Le régime de la rupture unilatérale

154. La notion d'équilibre contractuel désormais définie et encadrée, il nous faut désormais envisager l'étude du régime de la liberté de rompre unilatéralement un contrat déséquilibré. Nous y procèderons classiquement en présentant successivement les conditions de la rupture unilatérale (§1) et son champ d'application (§2).

§ 1 : Les conditions de la rupture unilatérale

155. Il s'agit de déterminer quelles sont les conditions nécessaires pour justifier la rupture unilatérale du contrat par l'une des parties. La recherche d'un déséquilibre potentiel peut dans un premier temps servir de base de réflexion (A). Elle vise en effet à rechercher les raisons de l'apparition potentielle du déséquilibre. Cette analyse s'avère cependant insuffisante ; la liberté de rompre unilatéralement le contrat ne sera fondée que s'il est réellement et manifestement déséquilibré (B).

A] L'existence potentielle d'un déséquilibre

156. Le déséquilibre du contrat s'entend de « l'absence de répartition harmonieuse des droits, obligations et prestations445(*) ». Ainsi défini, nous pouvons d'ores et déjà souligné que de nombreuses sources de déséquilibre sont susceptibles d'affecter le contrat. L'altération du consentement de l'un des contractants lors de la conclusion du contrat, la modification unilatérale par l'employeur des conditions de travail en matière sociale446(*) ou encore l'évolution de l'environnement économique du contrat ne sont que des éléments d'une liste non exhaustive. Nous axerons plus particulièrement notre étude sur une source de déséquilibre particulièrement abondante : le comportement déloyal de l'un des contractants. La mauvaise foi (1) et l'abus de droit (2) d'une partie au contrat peuvent en effet générer un déséquilibre contractuel et reflètent par là même une première étape dans la légitimation de la rupture unilatérale dudit contrat.

1°) Le manquement d'un contractant à son obligation de bonne foi

La bonne foi sert de fondement au juge pour exiger l'existence d'un équilibre contractuel (a) mais aussi pour assurer son maintien pendant l'exécution (b).

a- La bonne foi au service de la naissance d'un contrat équilibré

157. Le droit positif assure avant tout l'existence de contrats équilibrés à travers l'encadrement minutieux de l'accord des volontés. En effet, si l'un des impératifs du droit des contrats est notamment de protéger le consentement et non de garantir l'équilibre contractuel en tant que tel, en ne concevant le contrat qu'à travers un échange de volontés non viciés, il jette les bases d'une position a priori harmonieuse de son contenu. Vicié, le consentement justifierait donc la rupture unilatérale du contrat car il ne peut ainsi donner naissance qu'à un équilibre tronqué. C'est cependant méconnaître la nature de la nullité, sanction spécifique du défaut de formation du contrat, et ses effets, l'anéantissement rétroactif du contrat, que de conférer au contractant, dont le consentement a été altéré, une option entre la rupture unilatérale du contrat pour déséquilibre manifeste et la saisie du juge pour obtenir le prononcé de la nullité du contrat sur le fondement des articles 1108 et suivants du Code civil.

158. La protection de la bonne foi permet tout à la fois de privilégier la naissance d'un contrat équilibré et de fonder sa rupture s'il s'avère a posteriori déséquilibré. En effet, si les rédacteurs du Code civil n'avaient pas souhaité ou jugé nécessaire de conférer à la bonne foi une portée générale, elle constitue aujourd'hui un véritable principe d'exécution mais aussi de formation et d'interprétation du contrat. Ainsi, dans une perspective préventive destinée à protéger le consentement des parties, la jurisprudence leur impose tout d'abord une obligation d'information. Cette obligation est particulièrement prescrite lorsque les parties sont dans une situation inégale, ou encore lorsque l'objet du contrat présente une grande spécificité. Auparavant, l'adage emptor debet esse curiosus avait longtemps mis l'accent sur le devoir de chacun de s'informer par lui-même447(*). Mais les juges du fond, recherchant au cas par cas si des circonstances particulières n'ont pas empêché le cocontractant de se forger sa propre opinion, ont progressivement placé le créancier de l'obligation d'information en situation d'ignorance légitime. Ce revirement est manifeste ; la Haute juridiction exige aujourd'hui que « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause448(*) ». La jurisprudence impose enfin que le professionnel prenne parti, oriente le choix de son partenaire, de façon à l'inciter à prendre la meilleure solution, voire à le dissuader d'agir comme il l'entend. S'il y a lieu, et c'est sans doute la concrétisation la plus ultime de l'obligation de conseil, un contractant doit enfin savoir dissuader son cocontractant de conclure avec lui. Cet aspect de l'obligation de conseil finalise le lien entre la bonne foi et l'équilibre contractuel au stade précontractuel ; un contrat manifestement déséquilibré ne saurait dès lors, en principe tout du moins, être conclu.

b- La bonne foi au service du maintien d'un contrat équilibré

159. Longtemps présentée comme l'obligation d'exécuter les conventions conformément à l'intention des parties449(*) ou encore comme une simple règle d'interprétation450(*), la bonne foi offre aujourd'hui au juge une double possibilité d'immixtion dans le contrat. Sa fonction évaluatrice, lui permet tout d'abord d'évaluer concrètement une conduite individuelle lors de l'exécution de la convention et de la sanctionner. Sa fonction complétive et adaptatrice, lui permet ensuite de déterminer le contenu contractuel, en se référant à une éthique de solidarité et de communauté d'intérêts451(*), et donc de rendre le contrat plus harmonieux et équilibré. Deux obligations prétoriennes permettent essentiellement d'assurer le maintien de l'équilibre contractuel : l'exigence de loyauté et l'esprit de coopération452(*).

160. Se comporter de manière loyale implique, de façon négative, que les parties s'abstiennent d'un certain nombre d'attitudes condamnables ; elles ont l'obligation d'avoir à l'égard de l'autre un comportement qui ne puisse lui nuire. L'exigence de loyauté permet tout d'abord de sanctionner des comportements trop infidèles car non conformes à la confiance qu'a pu faire naître l'échange des consentements453(*). Elle justifie également la condamnation de comportements jugés trop rusés. La bonne foi, dans ces hypothèses, déjoue la malice et les arrière-pensées ; elle participe d'une exigence, sans cesse plus perceptible en droit contemporain des contrats, d'authenticité des comportements454(*). Elle prive enfin les parties de la possibilité d'agir trop soudainement ; le changement brutal de comportement déjoue et déçoit les anticipations que les parties au contrat avaient fondées et rendues légitimes. La promesse implicite de stabilité née dans l'esprit des cocontractants ne serait donc pas respectée455(*).

161. L'obligation de bonne foi ne permet pas simplement de sanctionner les comportements
déloyaux ; elle implique, de manière positive, une obligation de coopération entre les parties de plus en plus nettement affirmée par une jurisprudence soucieuse du respect d'un minimum de solidarité contractuelle. L'intensité de cette obligation est fonction de la nature du contrat ; dans certaines conventions, elle constitue un moyen d'atteindre un projet ou un objectif commun, alors que dans d'autres, elle participe à la nature même des relations456(*). Concrètement, le créancier devra tout d'abord s'efforcer de faciliter à son partenaire l'exécution du contrat. Cette obligation envisagée en diverses hypothèses par le législateur, notamment par les articles 1768 du Code civil et L.113-4 du Code des assurances, a considérablement été étendue par la jurisprudence457(*). Le créancier doit également se montrer conciliant en cas de difficultés d'exécution. Il ne peut dès lors adopter une attitude intransigeante458(*) ou tracassière459(*). Dans une optique similaire, le créancier est également tenu de limiter l'aggravation du préjudice causé au débiteur ; il doit notamment prendre toutes les mesures raisonnables pour limiter le préjudice qu'il subit du fait de l'inexécution partielle ou totale du contrat. En droit français, cette obligation s'est incorporée à l'ordre juridique par le biais de la Convention de Vienne. Son article 77 précise en effet que « la partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention ». Au plan interne, la Cour de cassation a imposé ce devoir de collaboration et d'assistance en certaines espèces460(*).

162. La bonne foi permettrait enfin un assouplissement du rejet de la théorie de la révision pour imprévision461(*). Que ce soit en imposant à l'un des contractants une obligation d'adaptation à l'évolution prévisible d'une situation462(*), ou encore une obligation de renégociation en cas de changement imprévu des circonstances économiques463(*), plusieurs arrêts de la Cour de cassation témoignent en effet d'un certain frémissement jurisprudentiel. Pour certains auteurs, seul l'article 1134, alinéa 3 du Code civil peut servir de substrat à la révision du contrat en cas de modification des circonstances économiques464(*). Elle faciliterait ainsi une nouvelle fois le maintien de l'équilibre contractuel.

2°) Le comportement abusif d'un contractant

L'abus de droit est une menace permanente de l'équilibre contractuel. Au stade de la formation du contrat, il se manifeste généralement par l'obligation pour la partie faible de conclure un contrat globalement déséquilibré ; l'équilibre contractuel, entendu dans sa dimension statique, n'existe donc pas. Au cours de l'exécution du contrat, il constitue également un facteur perturbateur de l'équilibre contractuel entendu dans sa dimension dynamique. Il convient de le distinguer de la mauvaise foi (a) et d'illustrer notre propos à travers l'étude de la jurisprudence relative à la fixation du prix (b).

a- Les spécificités de l'abus et de la bonne foi

163. Nous avons mis en évidence le lien entre le manquement à la bonne fois et l'abus de droit465(*) ; il convient désormais de les différencier. La jurisprudence persiste en effet à utiliser les deux notions dans des espèces a priori très proches. En matière de clause résolutoire, si la majorité des décisions se fondent sur la bonne foi pour faire échec à leur application, d'autres visent expressément l'abus de droit466(*). Trois directions sont proposées par la doctrine pour mettre en évidence des différences objectives entre les deux concepts. Les deux notions se différencient tout d'abord de part leurs fonctions. Si celles-ci sont identiques lorsque l'un des contractants souhaite limiter les prérogatives de son cocontractant, seule la bonne foi permet d'asseoir la création par le juge d'obligations à la charge de l'une des parties467(*). La bonne foi et l'abus de droit ont également un champ d'application différent. Si celui de l'abus de droit est général, « la bonne foi ne peut jouer que dans le cadre d'un processus contractuel468(*) ». Il est vrai qu'en matière contractuelle, le domaine d'application de la bonne foi ne peut véritablement être distingué de celui de l'abus de droit. Tout au plus peut-on souligner une proposition doctrinale visant notamment à réserver le recours à la bonne foi lorsque le droit de rupture est d'origine conventionnelle et le recours à l'abus de droit lorsqu'il est d'origine légale469(*). La Cour de cassation néglige cette distinction et se fonde sur la bonne foi et l'abus de droit sans se référer à la nature du droit mis en cause. Les deux notions se distinguent enfin quant à leur contenu ; celui de l'abus serait d'une part plus restrictif470(*) et d'autre part le seul à pouvoir faire l'objet d'un contrôle de la Cour de cassation471(*).

b- L'exemple de la jurisprudence relative à la fixation du prix

164. En décidant le 1er décembre 1995 que l'article 1129 du Code civil n'était plus applicable à la détermination du prix472(*), l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation a expressément reconnu la fixation unilatérale du prix par l'une des parties au contrat. L'équilibre contractuel n'est donc plus en cette matière le résultat d'un accord de volontés mais celui du comportement de l'une des parties. Si l'indétermination du prix n'affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de la convention, l'abus dans sa fixation donne cependant lieu à résiliation ou indemnisation473(*). Cette indemnisation permet donc au juge de rééquilibrer le contrat. Car au travers de l'appréciation qu'il aura de l'étendue des obligations que l'équité imposait et de l'évaluation qu'il fera du dommage, « il disposera d'un pouvoir particulièrement étendu, pouvant aller jusqu'à assurer l'équilibre pécuniaire de l'ensemble des relations contractuelles des parties474(*) ».

165. Le déséquilibre ne constitue donc pas la condition de mise en oeuvre de la sanction ; seul le comportement abusif, voire la faute475(*) est pris en compte. Le déséquilibre peut en revanche jouer un rôle dans l'appréciation du dommage et dans celle du montant de la réparation. Par la sanction de l'abus de droit, la jurisprudence tente de finaliser une composition harmonieuse du contenu du contrat, c'est-à-dire un équilibre d'un point de vue statique476(*).

B] L'existence réelle et manifeste d'un déséquilibre

166. La liberté de rompre unilatéralement le contrat est subordonnée au respect de deux conditions cumulatives. L'équilibre du contrat doit tout d'abord être inexistant, c'est-à-dire en l'absence d'une composition harmonieuse du contenu du contrat, ou avoir disparu, c'est-à-dire en cas de disparition de la position de relative stabilité de ce même contenu. Le déséquilibre doit dans un second temps être manifeste ; le moindre déséquilibre ne saurait justifier la rupture du contrat (2).

1°) La référence à l'existence du déséquilibre contractuel

La référence à l'existence du déséquilibre est nécessaire (a) et nous apparaît juridiquement fondée (b).

a- Une référence nécessaire

167. Si de nombreux mécanismes législatifs ou prétoriens permettent aujourd'hui d'assurer l'existence ou le maintien de l'équilibre contractuel, l'absence systématique de référence expresse et directe à ce déséquilibre ne peut conduire qu'à en limiter sensiblement l'efficacité. Il en est ainsi lorsque l'obligation d'information et les délais de réflexion imposés par la loi ou encore le devoir de conseil dégagé par les juges ne peuvent éviter la conclusion d'un contrat déséquilibré. Une information obscure, trop technique ou même difficile d'accès ne pourra, comme toute disposition conditionnée par la seule cause potentielle de déséquilibre, être absolument garante de la conclusion d'un contrat équilibré477(*). A l'inverse, l'article L. 145-38 du Code de commerce ne subordonne la révision triennale du loyer du bail commercial qu'au seul écoulement d'un délai de trois ans à compter de la date d'entrée en jouissance du locataire. L'absence de référence au déséquilibre du contrat pourrait dès lors permettre la révision d'un contrat pourtant équilibré. Si ce risque est en réalité mineur, dans la mesure où le calcul du nouveau loyer est basé sur l'évolution des facteurs locaux de commercialité, il n'en reflète pas moins les limites de la protection par ricochet de la position harmonieuse du contenu du contrat.

168. S'il est vrai que l'absence de négociation représente un facteur important de déséquilibre, que très souvent un comportement répréhensible favorise l'apparition de déséquilibres contractuels et que l'inégalité des parties constitue un terreau fertile de déséquilibre des prestations478(*), la protection systématique de l'équilibre à travers l'élément qui lui correspond n'est pas suffisante tant ce lien n'est pas absolu. Un déséquilibre ne peut-il pas exister dans un contrat négocié479(*) ? L'équilibre ne peut-il pas résulter d'un contrat conclu entre des contractants ne se trouvant pas dans un rapport égalitaire ou malgré l'existence d'un comportement déloyal ? Les impératifs n'étant pas toujours identiques, la spécificité de l'objet de la protection doit commander une adaptation de ses mécanismes480(*). Il semble donc nécessaire de ne pas se référer uniquement à la cause du déséquilibre et de considérer l'équilibre contractuel comme une condition d'application à part entière des mécanismes de protection481(*).

b- Une référence juridiquement fondée

169. Si le droit positif n'aborde généralement pas le déséquilibre contractuel de manière frontale, en diverses matières l'équilibre contractuel constitue toutefois une véritable condition d'application du dispositif protecteur.

170. Cette condition vise tout d'abord à compléter la cause du déséquilibre. En ce sens, en exigeant la preuve d'un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une prévision insuffisante des produits de l'oeuvre, le régime de la lésion défini par l'article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle regroupe à la fois la cause du déséquilibre et l'existence effective de ce déséquilibre. La référence expresse à l'existence du déséquilibre s'intégrerait donc dans un premier schéma organisé autour de deux conditions cumulatives et liées entre elles par une relation de cause à effet : un changement des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu entraînant un déséquilibre grave des prestations contractuelles482(*). Le contenu du contrat a perdu sa position de relative stabilité car ces circonstances nouvelles font que le contenu et sa répartition harmonieuse ont été bouleversés483(*).

171. La référence à l'existence du déséquilibre contractuel constitue en d'autres hypothèses la condition unique du mécanisme protecteur ; la constatation d'un déséquilibre est à elle seule suffisante. L'exemple de la lésion en matière de vente d'immeuble est topique. Si dans un premier temps le déséquilibre était sanctionné uniquement si un vice du consentement en était la cause484(*), seule la constatation du déséquilibre est aujourd'hui requise pour demander la rescision ou la révision du contrat : « la démonstration d'un déséquilibre économique entre les prestations constitue désormais une condition nécessaire au succès de l'action ; il s'agit d'une condition suffisante485(*) ». L'existence d'un déséquilibre est également suffisante pour justifier l'exercice par le juge de son pouvoir modérateur en matière de clauses pénales. L'évolution de la réglementation des clauses abusives est particulièrement intéressante. La loi du 10 janvier 1978486(*) exigeait initialement un avantage d'une part excessif au détriment du consommateur et d'autre part un avantage imposé par un abus de puissance économique. La sanction des clauses abusives était donc conditionnée par deux critères cumulatifs qui entretenaient une relation de causalité487(*). La jurisprudence488(*) puis le législateur489(*) ont successivement supprimé le critère de la cause du déséquilibre. Seul le déséquilibre entre les droits et les obligations, c'est-à-dire une composition non harmonieuse du contenu du contrat, suffit indépendamment de sa cause490(*).

172. Cette appréhension dualiste de l'équilibre contractuel n'est pas satisfaisante. La référence à l'origine du déséquilibre comme condition de mise en oeuvre de la protection ne doit tout d'abord pas être dénoncée. Elle permet en effet une plus grande sécurité juridique à travers une limitation des actions en justice. La dualité des conditions conduit finalement à limiter de manière trop restrictive les mesures protectrices de l'équilibre contractuel. Aussi, une condition cumulative assurerait davantage « le maintien d'une certaine sécurité juridique tout en restant efficace : l'importance de ce déséquilibre491(*) ».

2°) La référence à l'importance du déséquilibre

La composition du contrat peut osciller entre l'absence totale d'équilibre et un équilibre parfait. Nous pensons, notamment pour des raisons de sécurité juridique, que seul un déséquilibre important peut justifier la rupture unilatérale du contrat. Se pose dès lors la difficulté de déterminer le seuil conditionnant la rupture du contrat (a) mais aussi celle de la mise en oeuvre de ce seuil (b).

a- La nature du seuil

173. Le seuil peut tout d'abord être fixé de manière précise et expresse par le législateur. Cette méthode, notamment retenue pour caractériser la lésion en matière de vente immobilière492(*) ou de cession de droits d'auteurs493(*), présente incontestablement l'avantage de la simplicité. Cependant, si ce seuil fixe permet une certaine prévisibilité dans le devenir de la relation contractuelle, il peut être source d'arbitraire et d'inégalité au moment de sa détermination par le législateur. Plus généralement, la doctrine juge que sa rigidité le rend inadapté à la mesure d'un équilibre contractuel par nature complexe et diversifié494(*).

174. Le législateur peut au contraire définir un seuil relativement souple afin de permettre aux juges du fond d'apprécier souverainement l'équilibre contractuel désormais envisagé dans sa globalité. C'est notamment dans cette optique que le juge peut, comme nous l'avons vu495(*), modérer une clause pénale manifestement excessive ou dérisoire496(*). Modulable au gré des espèces, le seuil ainsi défini soulève cependant une nouvelle fois, mais en des termes différents, le risque d'arbitraire. Ce risque nous apparaît d'une importance minime. En effet, si le précédent français n'a certes pas la même force que dans les systèmes anglo-saxons, la stabilité de la jurisprudence est tout de même source d'une sécurité juridique. Dès lors, les directives fixées par la Cour de cassation, telle la prise en considération du préjudice subi497(*) et du bénéfice obtenu498(*), et le contrôle qu'elle exerce ne peuvent donner lieur à une application totalement protéiforme de la loi.

b- Le degré du seuil

175. L'intervention du juge pour établir un équilibre inexistant ou rétablir un équilibre rompu n'est justifiée que dans les hypothèses où le contrat n'est plus utile ni pour les parties, ni pour la société499(*). Dès lors, si le juge ne sanctionne pas systématiquement les contrats marqués d'un déséquilibre mineur, ce n'est pas tant pour assurer une certaine stabilité au contrat, mais parce que celui-ci conserve son utilité individuelle et sociale.

176. Cette utilité, qu'elle soit recherchée par le législateur, dans l'hypothèse d'un seuil fixe, ou par les juges, dans l'hypothèse d'un seuil souple, peut être mesurée à travers la cause du contrat. Certains auteurs, rejetant l'opposition traditionnelle entre la cause objective de l'obligation et la cause subjective de l'opération contractuelle, ont en ce sens précisé que « dans les deux cas, (...) elle est un pourquoi, un but, une raison ; elle est, pourrait-on dire encore, l'intérêt du contractant au contrat500(*) ». L'analyse de Madame Rochfeld permet en ce sens d'appréhender les difficultés inhérentes à la preuve de tels intérêts. Distinguant les contrats typiques, à la motivation standardisée, des contrats atypiques, support de la maîtrise des parties sur le contenu de leur accord, et opposant par là même les causes propres à chacun de ces contrats, elle déduit que « le contrôle de la cause est celui de l'existence d'un intérêt typique, dans le premier cas, d'un intérêt atypique dans le second501(*) ». Dès lors, il existe dans les contrats typiques une présomption de l'intérêt attendu par chacune des parties dans chaque type de contrat donné. Au contraire, l'intérêt doit faire l'objet d'une appréciation par le juge dans les contrats atypiques ; « le juge doit rechercher la raison d'être du contrat particulier. (...) On débouche sur une interprétation de volonté qui puisse rendre l'intention, comme dans les contrats typiques intelligible502(*) ». Cette approche de la cause permet donc d'affiner l'appréciation de l'utilité du contrat.

* 445 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°373, p.252.

* 446 V. supra n°130.

* 447 P. JOURDAIN, Le devoir de se renseigner, D. 1983, chr. p. 139.

* 448 Cass. civ. 2ème, 19 octobre 1994, D. 1995, jur. p. 499, note A.-M. GAVARD-GILLES.

* 449 AUBRY et RAU, Droit civil français, Les obligations, tome 4, par BARTIN, 6ème édition 1942, n°346.

* 450 R. BEUDANT, P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, Cours de droit civil français, tome 8, Arthur Rousseau éditeur 1936, 2ème édition, n°307.

* 451 Y. PICOD, Art. 1134 et 1135, Juris-Classeurs civil, op. cit., n°7, p.5.

* 452 J. MESTRE, RTD civ. 1986, p. 100.

* 453 P. MALAURIE et L. AYNÈS, Droit civil, Les obligations, op. cit., n°622.

* 454 J. MESTRE, La transparence en droit des contrats, R.J. com. 1993, n° spécial « La transparence », p. 88.

* 455 C. ATIAS, Les promesses implicites de stabilité (crédit, emploi), D. 1995, chr. p. 125.

* 456 Y. PICOD, Art. 1134 et 1135, Juris-Classeurs civil, op. cit., n°44, p.13.

* 457 CA Pau, 15 février 1973, JCP éd. G. 1973, II, 17 584, note J. B (restitution en nature de cuves ayant fait l'objet d'un prêt).

* 458 Cass. civ. 1ère, 6 juillet 1999, n°97-20.102, Lamyline.

* 459 Cass. civ. 3ème, 28 novembre 1992, Loyers et copr. 1993, n°55.

* 460 Cass. com., 1er juillet 1980, Gaz. Pal. 1980, 2, pan. jur. p. 581, note A. P.

* 461 V. supra n°30 et s.

* 462 Cass. soc., 6 avril 1994 ; Gaz. Pal. 1995, 1, p.218, note J. BERENGUER.

* 463 Cass. com., 3 novembre 1992, Bull. civ. IV, n°338, p.241 ; JCP éd. G. 1993, II, 22 164, note G. J. VIRRASSAMY ; RTD civ. 1993, p.124, obs. J. MESTRE.

* 464 Y. PICOD, Art. 1134 et 1135, Juris-Classeurs civil, op. cit., n°98, p.27.

* 465 V. supra n°89.

* 466 C. LASALAS, Les critères de l'abus de droit dans la rupture des relations contractuelles, Dr. & Patr. 1997, n°51,
p.61 et s.

* 467 P. ANCEL, Critères et sanctions de l'abus de droit en matière contractuelle, op. cit., p.35.

* 468 P. ANCEL, Critères et sanctions de l'abus de droit en matière contractuelle, op. cit., p.35.

* 469 P. ANCEL, Critères et sanctions de l'abus de droit en matière contractuelle, op. cit., p.35.

* 470 B. FAGES, Des comportements contractuels à éviter, Abus, Encyclopédie dalloz.

* 471 J. GHESTIN, note sous Ass. plén., 1er décembre 1995, op. cit., n°31.

* 472 Ass. pl., 1er décembre 1995, quatre arrêts, RJDA 1196, 1, p.3, note M.-A. FRISON ROCHE ; D. 1996, jur. p.13, note L. AYNÈS ; RTD civ. 1996, p.153, note J. MESTRE ; JCP éd. G. 1996, II, 22 565, note J. GHESTIN.

* 473 Ass. Pl., 1er décembre 1995, quatre arrêts, op. cit.

* 474 A. LAUDE, La détermination du prix dans les contrats de distribution : le changement de cap, D. Aff. 1996, n°1, p.7.

* 475 M.-A. PEROT-MOREL, De l'équilibre des prestations dans la conclusion du contrat, Th. Grenoble, 1956, p.158 à 160.

* 476 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°404, p.281.

* 477 D. FERRIER et G. CAS, Traité de droit de la consommation, P.U.F. 1986, n°428.

* 478 D. MAZEAUD, Le principe de proportionnalité en droit des contrats, op. cit., n°9, p.13.

* 479 S. PECH-LE-GAC, La proportionnalité en droit privé des contrats, op. cit., n°128.

* 480 S. PECH-LE-GAC, La proportionnalité en droit privé des contrats, op. cit., n°98.

* 481 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°418, p.291.

* 482 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°421, p.292.

* 483 S. PECH-LE-GAC, La proportionnalité en droit privé des contrats, op. cit., n°1030.

* 484 CA Paris, 25 avril 1928, D.P. 1928, 2, p.113, note H. LALOU.

* 485 D. MAZEAUD, La lésion, Répertoire civil, Dalloz 1994, n°55.

* 486 Loi n°78-23 du 10 janvier 1978, Loi sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services.

* 487 O. CARMET, Réflexion sur les clauses abusives au sens de la loi n°78-23 du 10 janvier 1978, RTD com. 1982, p.16.

* 488 Cass. civ. 1ère, 6 janvier 1994, JCP éd. G. 1994, II, 22 237, note G. PAISANT ; D. 1994, somm. p.209, note P. DELEBECQUE.

* 489 Loi n°95-96 du 1er février 1995, Loi concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial.

* 490 D. MAZEAUD, La loi du 1er février 1995 relative aux clauses abusives : véritable réforme ou simple réformette ?, Dr. & Patr. Juin 1995, p.45, n°15.

* 491 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°429, p.299.

* 492 Article 1674 du Code civil.

* 493 Article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle.

* 494 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°434, p.301.

* 495 V. supra n°163.

* 496 Article 1152, alinéa 2 du Code civil.

* 497 Cass. com., 11 février 1997, D. 1997, Inf. rap. p.71.

* 498 CA Lyon, 20 avril 1989, D. 1989, Inf. rap. p.155.

* 499 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, op. cit., n°447, p.310.

* 500 J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, tome 4, Thémis Droit privé 1998, 22ème édition, n°58.

* 501 J. ROCHFELD, Cause et type de contrat, L.G.D.J. 1999, préface J. GHESTIN, n°630.

* 502 J. ROCHFELD, Cause et type de contrat, op. cit., n°239.

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