La liberté de rompre unilatéralement le contrat( Télécharger le fichier original )par Michaël Barberis Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines - DEA 2002 |
Sous section II : Etude de la rupture des contrats à durée indéterminée66. Pendant toute l'exécution d'un contrat à durée indéterminée, chaque partie a en principe le droit de le rompre unilatéralement (§1). Ce n'est qu'exceptionnellement qu'elle peut a priori être contrainte de ne pas en user et que le juge peut a posteriori lui reprocher de l'avoir exercé (§2). § 1 : Une rupture nécessairement unilatérale67. Si seuls quelques textes le prévoient formellement, la généralisation du droit de résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée est certaine (A). Mais doit-on pour autant y voir le reflet d'un principe général de prohibition des engagements perpétuels (B) ? A] L'étendue de la rupture unilatérale 68. L'extension du droit de résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée (1) ne pouvait se concevoir sans un contrôle étroit de sa mise en oeuvre (2). 1°) Le droit de résiliation unilatérale En conférant une valeur constitutionnelle au droit de résiliation unilatérale (b), le Conseil constitutionnel a achevé le renforcement de ce droit entrepris par les juridictions civiles (a). a- La portée du droit de résiliation unilatérale 69. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée a le droit de rompre unilatéralement son engagement. Cette faculté d'anéantir le lien contractuel sans le consentement du cocontractant, généralement présentée par la doctrine comme un acte juridique unilatéral ou comme la mise en oeuvre d'une condition résolutoire exprimée par les parties au moment de la conclusion du contrat, a tout d'abord été définie de manière éparse par le législateur. Pour exemple, l'article 1780, alinéa 2 du Code civil dispose que « le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d'une des parties contractantes ». Dans la même optique, l'article L. 122-4 du Code du travail dispose, sous réserves cependant de l'application de règles impératives, que « le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l'initiative d'une des parties contractantes ». La rupture unilatérale des contrats à durée indéterminée a ensuite été généralisée par la jurisprudence dans un arrêt de principe en date du 5 février 1985. Par un large attendu, les juges de la première Chambre civile ont en effet décidé qu'il « résulte de l'article 1134, alinéa 2 du code civil que dans les contrats à exécution successive ne prévoyant aucun terme, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 du même texte, offerte aux deux parties195(*) ». 70. Aux vues des analyses doctrinales, le droit de rompre unilatéralement un contrat à durée indéterminée serait d'ordre public. De nombreux auteurs soutiennent en ce sens que la finalité de protection de la liberté individuelle commande le caractère impératif du droit de la résiliation unilatérale196(*). La renonciation anticipée ne saurait donc être admise ; elle ne peut intervenir qu'une fois le droit acquis197(*). b- La constitutionnalité du droit de résiliation unilatérale 71. Le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle au principe de libre rupture des contrats à durée indéterminée. Dans le cadre de l'examen de la constitutionnalité de la loi relative au PACS, il a en effet affirmé que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement198(*) ». Mais cette consécration par le Conseil, opérant par ailleurs un revirement au regard d'une pratique constante d'exclusion du contrat du droit constitutionnel199(*), ne prive nullement le législateur de tout pouvoir d'intervention. Il lui appartient en outre, « en raison de la nécessité d'assurer pour certains contrats la protection de l'une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d'un préavis200(*) ». L'intervention du législateur en matière sociale s'inscrit en ce sens. En imposant l'indemnisation du salarié victime de la rupture dès lors que la volonté de rompre de l'employeur n'est pas justifiée par une cause réelle et sérieuse ou qu'elle ne respecte pas une procédure visant à établir la protection des salariés la loi rétablit un certain équilibre dans la relation contractuelle. 2°) La mise en oeuvre du droit de résiliation unilatérale Ce n'est qu'une fois le cocontractant averti et le délai de préavis respecté (a) que la rupture pourra produire ses effets (b). a- Les exigences procédurales de la résiliation unilatérale 72. La résiliation étant unilatérale, seule une manifestation expresse ou tacite et non équivoque de la volonté de son auteur est nécessaire pour anéantir le lien contractuel. Soucieux de rétablir une certaine sécurité juridique, le législateur et la jurisprudence imposent en diverses matières le respect d'un formalisme. L'article L. 122-14-1, alinéa 1er du Code du travail dispose en ce sens que « l'employeur qui décide de licencier un salarié doit notifier le licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ». De nombreux auteurs recommandent aujourd'hui une généralisation de cette obligation de notification à l'ensemble des contrats201(*). 73. Afin de permettre au cocontractant d'envisager le plus sereinement possible l'après contrat, la rupture est d'autre part subordonnée au respect d'un délai de préavis. Ce dernier se définit comme le délai d'attente légal ou d'usage qui doit être observé entre le moment où la personne est informée de la rupture du contrat et la date à laquelle celle-ci s'appliquera effectivement202(*). Cette obligation a explicitement été imposée par le législateur en matière de bail203(*), de contrat de travail204(*) ou encore d'ouverture de crédit205(*). Elle correspond pour certains auteurs « au légitime souci d'éviter à la victime de la rupture de subir un préjudice trop important en lui permettant de faire face à la situation et de conclure un nouveau contrat206(*) ». D'autres auteurs soulignent quant à eux que l'exigence d'un préavis est « la suite que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature207(*) ». Aussi diverses qu'elles puissent paraître, les analyses développées par la doctrine traduisent toutes l'idée d'une nécessaire généralisation du bénéfice du préavis. L'évolution jurisprudentielle est concordante aux thèses doctrinales ; elle tend à imposer, de façon générale, pour les contrats non réglementés et même en l'absence de stipulation organisant un délai de dénonciation, le respect d'un délai de préavis. Ce délai est ainsi obligatoire en matière de concession exclusive208(*) ou d'ouverture de crédit209(*) alors qu'aucune disposition législative ne l'impose. Mais aussi générale et nécessaire soit-il, le respect d'un délai de préavis n'est cependant pas un droit d'ordre public210(*) ; les parties peuvent y renoncer par une manifestation non équivoque de volonté211(*). 74. Qu'en est-il dès lors du non respect d'un délai de préavis ? La suppression ou la diminution de ce délai engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à verser au cocontractant une indemnité souverainement déterminée par les juges du fond. Cette indemnité ne saurait cependant être due en cas de force majeure ou d'irrespect total par l'une des parties de ses obligations justifiant un désengagement immédiat212(*). b- Les effets de la résiliation unilatérale 75. Les effets de la résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée n'ont nullement été précisés par les codificateurs213(*). Tout au plus peut-on relever que le terme de résiliation est traditionnellement défini comme le nom que prend la résolution dans les contrats successifs qui excluent la rétroactivité214(*). Cette analyse présente tout d'abord l'avantage de se calquer sur les effets que l'une des parties entend généralement donner à la rupture du contrat, à savoir l'anéantir pour l'avenir lorsqu'il s'agit d'un contrat successif à durée indéterminée215(*). La thèse ne peut d'autant moins être contestée qu'elle ne crée aucun déséquilibre entre les parties216(*). A l'aube de l'anéantissement du lien contractuel, chacun des contractants bénéficie de la prestation de son cocontractant, ce qui contribue à maintenir l'équilibre du contrat. Il n'y a donc « aucune raison de faire produire à la rupture un effet rétroactif car celui-ci a un rôle sanctionnateur et réparateur217(*) ». B] La force de la rupture unilatérale : examen de la validité des engagements perpétuels 76. Selon le doyen Voisin, le mot « de perpétuité employé par les juristes paraît bien prétentieux218(*) ». Le contrat perpétuel n'est en effet pas établi à jamais mais il est « destiné à durer autant que la vie de la personne concernée219(*) ». Ce caractère perpétuel se conçoit tantôt subjectivement, tantôt objectivement. Objectivement, la perpétuité se manifeste par une volonté active de voir le contrat ne pas connaître de fin. Elle vise l'engagement illimité en lui-même et non en référence à la durée de vie de l'obligé. Au lendemain de la réforme entreprise par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales220(*), cette conception de la perpétuité a été retenue par l'article 1838 du Code civil221(*). Subjectivement, la perpétuité ne s'observe qu'à l'échelle de la vie humaine. Elle commande une réglementation de la durée fonction de l'environnement contractuel et de caractéristiques spécifiques aux parties en cause. Un contrat sera considéré comme perpétuel dès lors que l'un des contractants ne pourra se libérer. Cette conception de la perpétuité a été consacrée dès 1804 par les rédacteurs du Code civil, notamment à travers la prohibition du louage de services perpétuels222(*). En ce qui concerne enfin leur validité, il convient de prime abord de préciser que le Code civil n'envisage que ponctuellement la prohibition des engagements perpétuels (1). Mais « faut-il admettre comme un principe virtuel de notre droit la prohibition de tout contrat perpétuel, même en dehors des cas prévus par les textes223(*) » (2) ? A travers l'étude de cette problématique, nous souhaitons illustrer la force de la liberté de rompre unilatéralement un contrat à durée indéterminée. Comment pourrait-on en effet continuer à présenter la rupture unilatérale d'un contrat à durée indéterminée comme un pilier de notre droit des obligations si celle-ci pouvait librement être écartée par les parties au contrat ? 1°) La prohibition de certains engagements perpétuels La perpétuité est notamment prohibée en matière de louage de service (a) et de contrat de bail (b). a- L'interdiction du louage de services perpétuels 77. Aux termes de l'article 1780, alinéa 1er du Code civil, « on ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une durée déterminée ». La rédaction de cet article s'inscrit dans une lutte contre le régime féodal avec l'abandon de toute forme de servitude personnelle. Mais aussi réactionnaire soit-il, le champ d'application de cet article n'en demeure pas moins limité. En effet, placé sous le titre « du louage des domestiques et ouvriers », ni les juges ni la doctrine n'ont entendu en étendre le bénéfice à d'autres individus se trouvant dans une situation similaire. Le Professeur Laurent a justifié le rejet de cette application extensive à travers la volonté de ne prohiber qu'une dépendance complète d'une autre personne, une dépendance absolue. Ce n'est en effet que « dans ces conditions que l'on trouve la dépendance de tous les jours, de tous les instants qui prive le débiteur de sa liberté224(*) ». Les juges n'ont cependant pas fait preuve d'une même réserve concernant l'application de l'article 1780, alinéa 1er du Code civil aux personnes morales. Dans une décision en date du 27 avril 1978, la Haute juridiction a en effet décidé que « c'est à bon droit que le tribunal d'instance, après avoir relevé que l'engagement pris par la société coopérative était fixé à soixante-quinze exercices consécutifs, correspondant à la durée de l'Institut coopératif du vin, énonce qu'un tel laps de temps excède la durée moyenne de la vie professionnelle, qu'il s'agisse d'un associée coopérateur ou d'une société coopérative, celle-ci, adhérente à une union de sociétés coopératives, devant garder une faculté de retrait qui est inhérente à sa qualité de coopérateur et conforme à l'intérêt des membres qui la composent225(*) ». 78. Le second alinéa du même article précise quant à lui que « le louage de service, fait sans détermination de durée peut toujours cesser par la volonté d'une partie contractante ». Comme l'ont justement précisé les Professeurs Ghestin226(*) et Libchaber227(*), ces deux alinéas ne sont nullement contemporains puisque c'est une loi du 27 décembre 1890 qui a ajouté au texte originaire un second alinéa. Ce ne serait donc pas la précarité, une précarité qui viendrait se substituer à la nullité initialement envisagée, qui menacerait l'engagement de travail perpétuel. En effet, il est d'une part inconcevable qu'un engagement perpétuel considéré comme nul puisse faire l'objet d'une résiliation unilatérale ; d'autre part, si le législateur avait voulu substituer la résiliation à la nullité, il aurait vraisemblablement abrogé le premier alinéa de l'article 1780 du Code civil228(*). 79. Il convient donc de reconnaître que ces deux alinéas formulent des règles d'ambitions inégales. Le premier alinéa se veut protecteur des libertés individuelles et sanctionne par la nullité la volonté de donner un effet perpétuel au contrat. Le second reconnaît un mécanisme consacré par la jurisprudence229(*) et se limite à apporter une solution technique permettant aux parties de sortir d'un contrat à durée indéterminée. La résiliation unilatérale est en définitive présentée comme « le meilleur moyen de borner les effets d'un contrat qui n'a pas été voulu illimité, sans pour autant créer de risques de maintien abusif dans la situation pour aucune des deux parties230(*) ». Cette opposition n'est pas sans incidence sur l'indemnisation des parties au contrat. Si aucune indemnité ne peut être versée lorsque la loi ordonne la nullité, l'exercice abusif du droit de résiliation unilatérale commande la réparation du préjudice causé. b- L'interdiction des baux perpétuels 80. La prohibition du bail perpétuel repose sur deux dispositions : l'article 1709 du Code civil, aux termes duquel « le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer » et l'article 1er du décret des 18 et 29 décembre 1790 fixant à 99 ans la durée maximale des baux à rente ou emphytéoses. Historiquement, ces textes s'inscrivent également en réaction contre l'ancien régime, ses baux perpétuels et sa distinction entre le domaine utile et le domaine éminent. Aujourd'hui, ce sont davantage des considérations économiques qui justifient une telle interdiction ; le bail perpétuel rendrait l'accès au marché impossible à des preneurs nouveaux. Ces articles ne posant cependant pas expressément le principe d'interdiction des baux perpétuels231(*), c'est à la Cour de cassation qu'est revenu le soin de relayer les objectifs des rédacteurs et de définir les contours de cet interdit. 81. En pratique, les contrats conclus ad vitam aeternam par les parties étant isolés, la Cour de cassation sanctionne principalement les contrats de bail dont la durée est susceptible d'excéder 99 ans. L'approche objective de la perpétuité retenue par la Haute juridiction l'a tout d'abord conduit à reconnaître les contrats de bail à vie. Aussi, un preneur retraité peut-il conserver, conformément au contrat de bail, son ancien logement de fonction aussi longtemps qu'il le souhaite dès lors que le bail n'est « ni susceptible de cession entre vifs, ni transmissible à cause de mort232(*) ». Cette conception de la perpétuité a ensuite motivé la Haute juridiction à sanctionner tout contrat de bail dont la durée dépend de la volonté arbitraire du preneur233(*). Les contrats de bail à durée indéterminée réservant l'exclusivité du droit de résiliation unilatérale au locataire ou à durée déterminée imposant le renouvellement du contrat à son expiration sur simple demande du preneur ne sont ainsi pas valables. Il convient cependant de souligner qu'une décision de la Cour de cassation a atténué la rigueur de la prohibition en ne qualifiant pas de perpétuel un contrat de bail ayant pour terme « le décès des locataires ou de leurs enfants234(*) ». Il semble donc que la limite traditionnelle de la durée des baux à 99 ans puisse être dépassée. 82. L'interdiction des baux perpétuels est enfin sanctionnée non pas par la réduction de la durée du contrat à 99 ans, ou à la durée de vie du contractant, mais par la nullité235(*). Le preneur n'ayant pu transmettre plus de droit qu'il n'en a acquis, cette nullité du contrat de bail principal entraîne, nécessairement et indépendamment de la bonne foi des parties contractantes, celle des sous-locations consenties par lui236(*). 2°) La négation d'un principe général de prohibition des engagements perpétuels Au mépris de l'absence de textes généraux et à l'appui d'une jurisprudence pour le moins insolite (b), la doctrine contemporaine tend à présenter comme une règle de droit positif de portée générale la prohibition des engagements perpétuels (a). a- Une solution envisageable 83. Aux articles 1709 et 1780 du Code civil ci-dessus étudiés, viennent s'ajouter les articles 1838, limitant la durée des sociétés à 99 ans, 1944 et 2003 du Code civil proscrivant respectivement le dépôt et le mandat illimités. Pour certains auteurs, « ces textes constituent des expressions particulières d'une règle générale, dont il doit être fait application là même où la loi ne l'a pas formellement édictée237(*) ». L'analyse est séduisante, d'autant que nombreux sont les fondements qui pourraient la justifier. En effet, que ce soit la volonté d'une rupture définitive avec le régime féodal, la théorie de la libre concurrence, l'incompatibilité entre la perpétuité de l'engagement et son utilité sociale ou encore la nécessité de préserver la liberté individuelle de celui qui s'oblige, toutes ces doctrines mettent en évidence la nécessité d'une telle généralisation. Les exigences inhérentes au respect de la liberté et de la dignité de l'obligé s'opposeraient donc à la perpétuité de tout engagement. Aussi, « si les parties n'ont pas fixé la limite de leur contrat, ..., ils ne sont pas nuls, mais chaque partie peut y mettre fin à tout moment par une résiliation unilatérale238(*) ». b- Une solution controversée par une doctrine autorisée et rejetée par la jurisprudence 84. Mais si certains auteurs mettent en évidence un principe général de prohibition des engagements perpétuels, d'autres soulèvent le nombre considérable d'exceptions qui incitent à s'interroger sur sa réalité. Parmi les opposants, le Professeur Ghestin refuse de généraliser les interdits ponctuels édictés par les codificateurs et de marginaliser une jurisprudence non systématiquement réfractaire à la perpétuité des engagements239(*). La Haute juridiction a tout d'abord expressément reconnu la validité d'un contrat perpétuel dans un arrêt en date du 25 juin 1907. La Cour était en l'espèce saisie de la validité d'une convention par laquelle les hospices civils de Lille s'étaient engagées, moyennant le paiement d'une somme, à mettre à la disposition des services de clinique médicale et chirurgicale de l'Institut catholique de Lille, deux pavillons ainsi que les installations leur permettant de fonctionner en conformité avec les prescriptions de la loi. Après l'examen des lois du 12 juillet 1875240(*) et du 5 avril 1884241(*), la Chambre civile a rejeté le moyen fondé sur la violation du principe de non perpétuité des obligations de faire, aux motifs que la validité du contrat litigieux est expressément reconnue par la loi et qu'aucun « texte de ces deux lois spéciales ne limite la durée d'une pareille convention242(*) ». Seul un texte peut donc fonder la nullité d'un contrat perpétuel. Certains auteurs ont toutefois entendu limiter la portée de cette décision ; insistant sur la brièveté de la vie humaine, le Professeur Azéma a notamment soutenu que la perpétuité ne pouvait être admise qu'à l'égard des personnes morales publiques dont la mission assure la pérennité243(*). 85. Plus récemment244(*), la Cour de cassation a pu juger que les juges du fond avaient dénaturé la clause claire et précise de la convention par laquelle un peintre avait donné au propriétaire d'une galerie de tableaux, « pour une durée illimitée », mandat exclusif de vendre ses oeuvres, dès lors que statuant sur les conséquences de la révocation du mandat, ils ont déclaré le contrat valable aux motifs que le terme « illimité » avait été improprement employé et qu'il fallait comprendre « indéterminé ». Pour le Professeur Ghestin, si l'on peut déduire de cet arrêt que la perpétuité est une cause de nullité du contrat de mandat, cette nullité ne trouve son fondement que dans les dispositions supplétives de l'article 2003 du Code civil ou encore dans l'esprit du mandat. En l'espèce, la nullité n'est donc pas justifiée par un quelconque principe général. Elle ne l'est pas plus lorsque la Cour de cassation sanctionne les contrats contrevenants au droit de retrait des associés dans les sociétés à capital variable ; c'est en effet au visa de l'article 52 de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés, que la Haute juridiction apprécie la conformité d'un tel engagement, conclu pour une durée illimitée ou pour un laps de temps supérieur à la durée moyenne de la vie humaine, aux libertés individuelles de l'associé. 86. En l'absence de textes, le vice de perpétuité ne semble donc pas pouvoir être systématiquement retenu. Mais est-ce à dire que le droit français ne répond que de manière éparse à la question de la perpétuité des engagements ? La réponse n'est peut-être pas aussi catégorique que ces développements ont pu le laisser entendre. Notre droit pourrait en effet « demeurer fidèle au fondement qui justifiait l'article 1780, alinéa 1er : là où la liberté individuelle est menacée par la perpétuité, elle est interdite ; là où à l'inverse la perpétuité, ou une durée excessive, n'entrave pas la liberté de l'individu, le principe s'affaiblit245(*) ». La force de la liberté de la rupture unilatérale d'un contrat à durée indéterminée ne saurait dès lors souffrir de trop larges contestations. * 195 Cass. civ. 1ère, 5 février 1985, Bull. civ. I, n°54, p.52. * 196 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°264, p.319. * 197 CA Douai, 5 juillet 1951, Gaz. Pal. 1951, 2, p.244. * 198 Cons. const., décision n°99-419 du 9 novembre 1999, Recueil, p.116, Journal officiel du 16 novembre 1999, p.16 962 ; RJDA 2000, n°29, p.31 ; P. A. 1er décembre 1999, n°239, p.6, note J.-E. SCHOETTL ; RTD civ. 2000, p.109, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; JCP éd. G. 2000, I, 210, note N. MOLFESSIS ; RTD public 2000, p.203 obs. P. BLACHER et J.-B. SEUBE. * 199 « Aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle », Décision n°98-401, 10 juin 1998, JO 14 juin 1998, p.9033. * 200 Décision n°99-419, 9 novembre 1999, op. cit. * 201 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°269, p.323. * 202 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit. * 203 Article 1736 du Code civil. * 204 Articles L.122-4 et s. du Code du travail. * 205 Article 60 de la loi n°84-46 du 24 janvier 1984, Loi relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit. * 206 J. AZÉMA, La durée des contrats successifs, L.G.D.J. 1969, préface R. NERSON, n°228. * 207 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°271, p.325. * 208 Cass. com., 8 avril 1986, Bull. civ. IV, n°58, p.50 ; D. 1988, somm. p.19, obs. D. FERRIER. * 209 Cass. com., 19 novembre 1985, Bull. civ. IV, n°275, p.232. * 210 Cass. civ. 1ère, 17 juillet 1985, Bull. civ. I, n°231, p.206. * 211 Cass. soc., 10 décembre 1985, Bull. civ. V, n°595, p.434. * 212 Cass. com., 5 mars 1996, RTD civ. 1996, p.905, obs. J. MESTRE. * 213 B. HOUIN, La rupture des contrats synallagmatiques, Th. Paris II, 1973, p.75. * 214 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit. * 215 B. HOUIN, La rupture des contrats synallagmatiques, op. cit., n°63, p.77. * 216 V. infra n°111 et s. une étude approfondie de l'équilibre contractuel. * 217 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°267, p.322. * 218 Voisin, D.P. 1930, I, p.13, note sous Cass. civ., 20 mars 1929. * 219 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit. * 220 La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 a été codifiée dans la partie Législative du Code de commerce publié au Journal officiel du 21 septembre 2000. * 221 « La durée de la société ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans ». * 222 Article 1780, alinéa 1er du Code civil. * 223 J. CARBONNIER, Les obligations, op. cit., n°141, p.275. * 224 F. LAURENT, Principes de droit civil français, tome 25, Librairie A. Marescq Airé 1878, n°492, p.545. * 225 Cass. civ. 1ère, 8 juillet 1986, Bull. civ. I, n°206, p.198. * 226 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°195, p.239. * 227 R. LIBCHABER, Réflexions sur les contrats perpétuels et la durée des sociétés, Rev. des sociétés, 1995, p.440. * 228 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°195, p.239. * 229 Cass. civ., 4 août 1879, D.P. 1880, 1, 272. « Il est de principe que le louage de services sans détermination de durée peut toujours cesser par la libre volonté de l'un ou de l'autre des contractants, en observant toutefois les délais commandés par l'usage ». Plus récemment, Cass. com., 14 novembre 1989, Bull. civ. IV, n°286, p.193. * 230 R. LIBCHABER, Réflexions sur les contrats perpétuels et la durée des sociétés, op. cit., n°5, p.442. * 231 « L'argument de texte « un certain temps » est bien faible pour justifier une telle interdiction ». J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°188, p.230 ; « L'interdiction des baux perpétuels est une règle traditionnelle qu'aucun texte n'exprime », P. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, Contrats spéciaux, op. cit., n°668, p.416. * 232 Cass. civ. 3ème, 4 janvier 1973, Bull. civ. III, n°4, p.3 ; F. RIZZO, Regard sur la prohibition des engagements perpétuels, Dr. & Patr. janvier 2000, p.62. * 233 Cass. civ. 3ème, 15 janvier 1976, Bull. civ. III, n°16, p.12 ; J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILIAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., n°191, p.233. * 234 Cass. civ. 3ème, 30 novembre 1983, Bull. civ. III, n°249, p.189 ; RTD civ. 1984, p.552, obs. P. RÉMY. * 235 Cass. civ., 20 mars 1929, D.P. 1930, 1, p.13, note P. VOIRIN. * 236 Cass. civ., 29 mai 1954, D. 1954, p.640. * 237 J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Les obligations, tome 1, L'acte juridique, Colin 2000, 9ème édition, n°380, p.280. * 238 A. BENNABENT, Droit civil, Les obligations (7ème édition 1999), n°312, p.212. * 239 J. GHESTIN, Existe-t-il en droit positif français un principe général de prohibition des contrats perpétuels ?, in Mélanges en l'honneur de Denis Tallon : d'ici, d'ailleurs, harmonisation et dynamique du droit, Société de législation comparée 1999, p.250 et s. * 240 Loi relative à la liberté de l'enseignement. * 241 Loi relative à l'organisation à l'organisation municipale sur la gestion des établissements communaux. * 242 Cass. civ., 25 juin 1907, D.P. 1907, 1, p. 337. * 243 J. AZÉMA, La durée des contrats successifs, op. cit., n°37. * 244 Cass. civ. 1ère, 5 mars 1968, Bull. civ., I, n°85, p.68 ; JCP éd. G. 1968, II, 15 525, note R. L. ; RTD civ. 1968, p.560, obs. G. CORNU. * 245 R. LIBCHABER, Réflexions sur les contrats perpétuels et la durée des sociétés, op. cit., n°6, p.443. |
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